La lumière des parfaits
calendes, il y est mentionné l’accostage d’une nef templière dans le port de Königsberg, le débarquement de plusieurs frères, prêtres, servants et des chevaliers, âgés pour la plupart.
« Outre des meubles contenant leurs effets personnels, fut déchargé un coffre qui contenait la contre-valeur de 46.667 marks d’argent, en lettres à changer sur des comptoirs commerciaux de tous les pays et en monnaies sonnantes et trébuchantes, florins, ducats de Venise, esterlins, louis d’or… Ce qui représentait près des deux tiers des bénéfices commerciaux de notre province de Prusse, soit l’équivalent de 350.000 têtes de bétail. Une somme considérable que nous eûmes la charge de gérer à titre jurable et rendable, tant que l’Ordre du Temple ne serait pas dissous.
« Pressé par le roi de France, Philippe quatrième du nom, abandonné par le pape Clément le cinquième, il fut finalement aboli en l’an de disgrâce 1314, accusé de tous les maux, ses domaines furent dévolus à l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, comme vous le savez…
— Des domaines effectivement considérables, ai-je lu : vingt-cinq ans après sa fondation, on pouvait chevaucher d’une terre templière à l’autre sans mettre les sabots de son cheval sur une terre d’empire, de royaume ou de principauté. Neuf mille commanderies templières couvrant près de six millions et huit cent mil arpents, plus de trente mil frères et serviteurs à son service…
« Rien qu’à Paris, l’Enclos du Temple, situé en face du Louvre, occupait une superficie de près de quinze cents perches, soit plus du tiers, paraît-il, de la surface de la capitale. Sans compter les terres de culture qui lui appartenaient au-delà des fortifications de la cité…
— Messire Brachet, votre mémoire ne peut jamais être prise en défaut ! Apprenez toutefois qu’à la dissolution de l’Ordre, la gestion des monnaies que nous devions gérer pour leur compte fut transformée de facto en donation, ainsi qu’il avait été convenu à l’époque.
« Bien que nous ne disposions pas de documents à ce sujet, il est probable que les dix-sept autres nefs transportaient chacune un trésor sensiblement équivalent et que nos confrères étrangers ont tenu leurs registres et bénéficié des mêmes privilèges.
« Alors, voyez-vous, messire Bertrand, quand bien même vous produiriez un acte de succession, un document attestant de la filiation et des droits de damoiselle Isabeau Brachet de Guirande, votre demi-sœur, il vous serait impossible d’en revendiquer l’héritage. L’Ordre du Temple et son trésor n’existent plus. Seuls quelques pleure-pains rêvent encore de faire main basse sur ses miettes. Même les rois de France y ont renoncé depuis bien longtemps.
« Or donc, messire Bertrand, restez fidèle aux vœux que vous avez prononcés lors de votre adoubement par-devant les féaux chevaliers Gaucelme de Biran et Guillaume de Lebestourac, vos parrains en l’ordre de chevalerie, car il est des secrets parfois bien lourds à porter.
« Un gentilhomme tel que vous, titulaire de la Croix de Fer de l’Ordre de Sainte-Marie des Allemands (crut-il bon de me rappeler en me tendant un document cacheté et scellé de son sceau, un diplôme en attestant) doit savoir agir avec discernement et en faire bon usage, pour servir ses intérêts sans nuire à ceux de ses pairs. »
En moins d’une heure, Winrich von Kniprode m’avait ouvert les yeux. Non seulement, il m’avait manipulé tel un pantin dont il avait tiré les ficelles d’adroite façon, sans que je m’en doute, mais il m’avait donné des explications plausibles à des questions, des doutes, des mystères que j’avais cru insondables. Qui complétaient les inimaginables découvertes que j’avais faites en sa librairie. Et qui s’emboîtaient à merveille les unes dans les autres, à la manière d’un puzzle dont les pièces auraient été uniformément blanches et dispersées aux quatre points cardinaux du monde connu.
Sa droiture, sa connaissance remarquable des personnes, des évènements… sa science pour percer les profondeurs les plus obscures de mon âme et m’éviter de courir encore, au péril de ma vie, après de chimériques illusions, m’avaient convaincu de sa bonne foi.
Pourtant, s’il m’avait délibérément et consciemment permis de lire l’extraordinaire parchemin du Temple, dans quel but l’avait-il fait ? Était-ce
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