La lumière des parfaits
diocèse, des remparts de Vannes à ceux de Saint-Malo.
Au détour d’une ornière, d’un chemin creux, ils surgissaient tout-à-trac, ces diables verts ou bruns, vociférants et toujours dépenaillés, une faux, une faucille ou une fourche à la main, dès qu’ils repéraient un pennon ou une bannière ennemie.
Ils menaient une guerre bien différente de celle que nous avions connue. En Pierregord ou en Prusse. Une autre façon de guerroyer pour tailler du Godon. Une façon, nous sembla-t-il, beaucoup plus sournoise, mais beaucoup plus efficace pour en découdre avec nos ennemis communs.
Le chevalier de Hesdin nous avoua cependant que messire du Guesclin, dans une Bretagne largement occupée du Poitou à la Normandie par les factions ennemies, avait bien souventes fois du mal pour faire tinter leur escarcelle avec de bonnes monnaies sonnantes et trébuchantes. Pour que ses compagnons subviennent aux besoins de leur famille ou, pourquoi pas, s’offrent le plaisir de lutiner quelques belles gourgandines ou de bailler les charmes d’accortes ribaudes…
Une idée folle germa dans mon chef lorsqu’il nous apprit que Jeanne de Dol, dame de Combourg, veuve du seigneur de Tinténiac – l’un des trente chevaliers qui caployèrent lors d’un inoubliable et héroïque combat en champ clos –, profitant d’une trêve conclue jusqu’au 15 du mois, offrirait sous quinzaine en son château de Montmuran, le jeudi 10 avril, à trois jours des ides, une somptueuse fête en l’honneur de messire Arnould d’Adrehem. Ce dernier venait d’être récemment promu maréchal de France, et Bertrand du Guesclin lui vouait une solide amitié.
Un jeudi saint ! Un jeudi de carême ! Les us et coutumes du pays de Bretagne, un pays pourtant peuplé de gens très croyants à ce que l’on m’avait dit, ne devaient pas être les mêmes qu’ailleurs ! Il était vrai qu’ici, la règle de primogéniture l’emportait aussi sur le sexe. Allez comprendre !
De mon idée, je m’ouvris incontinent à notre nouveau compain d’armes. Par la ruse ! avait-il dit lorsque je m’étais posé la question de savoir comment pénétrer à l’intérieur de la forteresse sans grand coup férir.
Après lui avoir exposé mon plan et l’avoir assuré que le sire de de Largoët était très fortuné, il ne fut pas long à en saisir l’intérêt. D’autant plus, me confirma-t-il, que le château appartenait avec ses terres à Jean de Malestroit, un seigneur inféodé aux Anglais et qui haïssait le roi de France. Il l’avait concédé en réméré, six ans plus tôt, à Arnaud de la Vigerie pour s’acquitter d’une rançon et recouvrer la liberté.
Encore fallait-il convaincre Bertrand du Guesclin, sans l’aide duquel mon plan, aussi ingénieux lui parût-il, ne pourrait être mis en œuvre.
Or, icelui devait se trouver, à l’heure où nous parlions et selon ses informations, entre les villes de Pontorson et de Combourg, à deux jours de chevauchée.
Nous décidâmes de mettre le pied à l’étrier sur le champ.
« Bertrand, je te présente le chevalier Brachet de Born. Il est d’Aquitaine et nous vient avec ses écuyers présents céans, Onfroi de Salignac et Guilbaud de Rouffignac, d’un Grand Pèlerinage en terres de Prusse. Il a vaillamment combattu aux côtés des frères teutoniques, annonça Enguerrand de Hesdin.
— Les Teutons ? Ils ont perdu la Terre sainte ! Les Templiers, les Hospitaliers aussi ! Mais peu me chaut en vérité !
« De Born as-tu dit ? Un troubadour ? Ils distraient. Ils distraient, mais ne sont que des saltimbanques !
— Bertran, de grâce, ne te gausse pas. Bertrand Brachet de Born s’est vu décerner la Croix de sable pattée et orlée d’argent, la plus haute distinction que le grand maître de l’Ordre de Sainte-Marie des Allemands peut conférer à un chevalier. Pour grande vaillance et hauts faits d’armes.
— Montre-moi les lettres patentes !
— Tu ne sais point lire, Bertrand, crois-moi sur parole…
— Combien d’ennemis a-t-il décompissé ? Dix, vingt ? Cinquante ?
— Plus d’une trentaine de païens ! Mais il a en outre sauvé leur grand maître d’une mort atroce. Au péril de sa vie !
— Lors d’une bataille rangée ? D’une de ces charges en grand harnois plain où la fine fleur de nos meilleurs chevaliers se fait occire par les archers ? Ou égorger par les coutiliers ? Comme à Crécy ? Et c’est ça que tu
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