La lumière des parfaits
m’amènes…
« Par Saint-Yves, ces temps-là sont révolus ! » trancha le nabot qui se tenait devant moi et m’examinait d’un air dédaigneux de la tête aux pieds. Les prunelles de ses yeux porcins, gonflées par la colère, jaillissaient hors des globes oculaires. Dieu, qu’il était laid !
« Bien ! Il suffit, messire de Hesdin. Je vois que je n’ai rien à attendre de ce cuistre et ne supporterai plus longtemps ses leçons ! répliquai-je en tournant le dos au nabot.
« Ce qu’il n’est pas capable d’oser, le ferai moi-même. Avec mes écuyers. Par la ruse ou par la force !
« Je vous salue, mes beaux seigneurs de Bretagne ! Onfroi, Guilbaud ! Nous prenons congé de nos hôtes. Messire du Guesclin est fort en gueule, mais il n’est point ce fendant compagnon que vous nous aviez dépeint, messire de Hesdin, regrettai-je en m’adressant à lui.
« Ce nain, à moins qu’il ne soit un sosie du grand homme, n’est qu’un pitre grossier d’une vulgarité à faire fuir la plus vérolée des folieuses, mais certainement pas à bouter les Godons hors le royaume ! Faites meilleur choix de vos amis, à l’avenir », lui conseillai-je avec outrecuidance.
« Vous devriez songer à faire goûter ses urines au prince de Galles, aux maréchaux ou aux lieutenants généraux de son ost. Ils ne vendangeraient plus le royaume de France avant la fin des temps ! »
Ledit chevalier Enguerrand de Hesdin vira du rouge au blanc. Il devint blême. Il savait que le nabot avait l’humeur chaude. Très chaude et très froide à la fois. Un bien curieux mélange que seuls de savants mires savaient apprécier.
Il tenta de s’interposer au moment où, tournant le dos à celui que j’avais cru être un homme de guerre respectueux des règles de la chevalerie, je perçus un sifflement aigu.
Une hache d’armes fendit le chambranle de la porte que je venais d’ouvrir. Elle pénétra le bois jusqu’au manche. À deux pouces de ma tête.
La main sur l’épée, je fis volte-face.
« Bienvenue parmi nous, Brachet de Born ! Bienvenue, Petit ! » hucha le nabot en riant à gueule bec, plié en deux, les mains sur le ventre. Un visage hilare. Sa bouche, charnue, s’étirait d’une oreille à l’autre, telle la lame d’un cimeterre sarrasin.
Lorsqu’il se redressa, je le dominai de près d’un pouce ! Pourtant, je vis un géant se dresser en face de moi.
« Ainsi, vous vous prénommez comme moi ? » glapit-il en enserrant ma taille de ses deux bras. Deux gigots qui lui tenaient lieu de bras. À me briser l’échine.
Nabot peut-être, mais drôlement costaud, le court sur pattes !
Ce furent, entre nous, les débuts assez surprenants d’une amitié et d’une fidélité qui ne connurent jamais ni trêve ni faille.
La veille des calendes d’avril, le vendredi 29 mars, Guilbaud se rendit dans la cité de Combourg pour passer commande à un maître tailleur d’un surcot brodé à des armes nobles. La confection devait impérativement être livrée pour le lundi 2, le lendemain des calendes d’avril. Les règles du compagnonnage interdisaient le travail le jour du Seigneur, mais le nom de messire du Guesclin levait bien des interdits.
Arnaud avait probablement vu mes écuyers lorsqu’il s’était rendu dans le village fortifié de Commarque pour y rencontrer sa mère. En effet, Guilbaud de Rouffignac avait été au service de feu le chevalier Romuald Mirepoix de la Tour avant que je ne le soldasse à la mort d’icelui, et Onfroi de Salignac, écuyer au service du chevalier Gaucelme de Biran.
Jeanne de Dol, dame de Combourg, fut informée de notre guet-apens par Bertrand du Guesclin en personne. Que n’aurait-elle pas fait pour un ami de son hôte de marque, le maréchal d’Audrehem, en l’honneur de qui elle organisait ce somptueux banquet le 10 du mois ! Fort heureusement, elle n’avait jamais eu à faire avec le sire de Largoët.
Le loup était rusé, méfiant, perfide. Il ne quittait son fief que rarement, toujours escorté par un échelon de sergents et d’arbalétriers montés. Mais, pleure-pain, je le savais aussi prompt à sauter sur toute occasion d’arrondir sa fortune personnelle ; dans le cas précis, l’appât du butin considérable qu’il pourrait en tirer devrait chatouiller son esprit retors.
Autrefois, lorsque nous étions les meilleurs amis du monde, Arnaud m’aurait consulté et je lui aurais conseillé la plus grande prudence. Ce qui ne
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