La lumière des parfaits
l’aurait d’ailleurs pas empêché de passer outre.
Un heureux hasard pouvait cependant le décider à se rendre à l’invitation de notre châtelaine. En effet, un référant de tranquillité avait ouï dire que, lors de ses déplacements, il dépêchait un chevaucheur pour en informer messire Hugues de Calveley, un Breton rallié au parti de Montfort. Or, remarquable concours de circonstances qui augmentait considérablement les chances de réussir le complot diabolique que j’avais ourdi, messire de Calveley tenait la place forte de Bécherel et Bertrand du Guesclin savait qu’il y était actuellement.
Cette place forte était très proche du château de Montmuran qui protégeait la plaine de Tinténiac. Redoutable forteresse avec ses deux tours, sises au nord, aux toits coniques, et son châtelet commandé par deux autres tours à mâchicoulis, elle ne cessait de narguer son voisin et d’attirer sa convoitise.
Si, comme nous l’espérions, Arnaud informait son allié de l’invitation qui lui était faite, lui faisant comprendre qu’il aurait un homme à lui dans la place, le sire de Calveley devrait sauter à pieds joints sur l’occasion pour tenter d’investir le château de la dame de Dol. Et qui sait, se saisir du maréchal d’Audrehem et des autres convives, de grands seigneurs pour la plupart, dont messire Élastre des Marès, châtelain de Caen.
De magnifiques rançons pourraient être baillées et partagées entre les deux félons, sans oublier que le château changerait de main…
Une trève avait été reconduite le 6 avril, à l’instigation du cardinal Gui de Boulogne, avait souligné Enguerrand de Hesdin. Les garnisons se trouvaient alors réduites à un minimum de défenseurs, ce qui n’échapperait pas au sire de Calveley, peu soucieux de respecter les périodes de trève, qu’elles soient paraphées par un roi ou un cardinal, avait ajouté Bertrand du Guesclin.
Tentant le tout pour le tout, j’envisageai de faire d’une pierre deux coups. En priant dame de Dol d’inviter également sa gracieuse épouse, s’il était marié, ainsi que le voulait l’usage, pour la présenter au nouveau maréchal de France. Arnaud était d’un esprit très manipulateur, calculateur, orgueilleux et d’une vanité incommensurable.
Verrait-il dans cette invitation l’occasion de changer de camp et de s’attirer les bonnes grâces du maréchal, peut-être même un titre dont il n’avait pas hérité, eu égard à la noblesse de robe très récente de feu son père ? Des honneurs, des bénéfices, être appelé à la cour du roi Jean ? Lui présenterait-il Isabeau, atteinte de cécité, mais d’une beauté lumineuse reconnue par tous ?
Pour mettre toutes les chances de notre côté, j’avais décidé de jouer la dernière carte que j’avais dans la manche. En réalité, cette carte était dans ma boîte à messages : la baronne Éléonore de Guirande, sa mère, avait apposé sous la contrainte, son paraphe et son petit sceau sur un parchemin, le soir où la place forte de Commarque avait été investie par une avant-garde anglaise et gasconne sous les ordres d’un autre félon, le chevalier Géraud de Castelnau d’Auzan {9} .
Le jour des calendes d’avril, le mardi 1 er du mois, un chevaucheur lança son coursier au galop avant que l’aube ne se lève. Il arborait sur son surcot, livré la veille au soir, un écu armorié parti, burelé d’or et de gueules de dix pièces et au lambel d’or, à la croix cléchée aux mêmes, vuidée de sable : les armes écartelées des Beynac et des Guirande. Le blason de la veuve de Fulbert Pons de Beynac, avant qu’elle n’épouse en secondes noces, Hélie de Pommiers, capitaine d’armes du nouveau premier baron du Pierregord, Bozon de Beynac.
Michel de Ferregaye, l’ancien capitaine d’armes de feu mon compère, était à présent à ma solde depuis le décès d’icelui. Il devait veiller, sur l’heure, aux défenses de nos propriétés de Braulen et de Rouffillac et en commander les modestes garnisons.
Bertrand du Guesclin avait désigné pour cette délicate mission l’un de ses plus féaux compains, Hamon Leraut, qui ne parlait que la langue française. Il portait à la ceinture, dans sa boîte à plis, l’invitation de dame de Dol et le pli de sa mère qui ne m’avait jamais quitté.
Il était chargé de lui faire savoir que dame Éléonore de Guirande se réjouissait de le revoir à l’occasion du banquet
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