La lumière des parfaits
présenta lorsque le baron Bozon de Beynac convoqua derechef les trois autres barons du Pierregord, leurs vassaux et tous les chevaliers bannerets en l’obédience du roi de France, en la salle des États de sa forteresse, le jour de la Saint-Jean.
« Mes beaux sires, l’heure est grave. Très grave. Le roi Jean a obtenu des États de langue d’oïl la levée de considérables subsides pour solder une armée forte de vingt mil hommes et bouter à tout jamais l’Anglais hors le royaume.
« Par décret royal, contresigné par le Parlement de Paris, il a levé le ban de tous ses féaux seigneurs, les implorant de rejoindre l’ost royal, dès les prochains jours, déclara-t-il en déroulant un court parchemin qui lui avait été remis par l’un des coureurs du roi.
« Nous devons rejoindre les batailles dans la plaine de la Beauce, près la ville de Chartres, dès que sera levé l’oriflamme à Saint-Denis. Toute la chevalerie à lui féale devra s’y tenir dès les premiers jours du mois de septembre avant le huit du mois. Nous serons appuyés par des compagnies d’arbalétriers de Gênes et de Lorraine, par des cavaliers et des fantassins suisses, allemands et écossais.
« Nous marcherons vers le fleuve Loire pour affronter les armées du duc de Lancastre qui battent la campagne en notre duché de Normandie et tentent de faire leur jonction avec les batailles du prince de Galles qui, selon nos propres référants, fourbissent leurs armes et s’apprêtent à faire route vers le nord.
— Quelles seront les forces en présence, Bozon ? s’enquit le baron de Bourdeilles.
— Dix à douze mil Anglais et Gascons d’un côté ; vingt à vingt-cinq mil Français et soudoyers étrangers de l’autre. Peut-être trente mil ! »
Un brouhaha s’éleva. Une voix plus forte se fit entendre, celle de Foulques de Montfort :
« Ne crions point victoire trop vite, mes beaux seigneurs. Nous savons l’Anglais et le Gascon aussi prompts à attaquer qu’à se replier. Une armée aussi lourdement équipée que la nôtre sera dotée de moins de mobilité que nos ennemis.
— Feriez-vous acte de récréance, messire Foulques ?
— Ce n’est pas faire acte de récréance que de regarder les risques que nous courrons, droit dans les yeux, répliquai-je. Messire de Montfort et moi l’avons appris l’hiver dernier en guerroyant aux côtés des chevaliers teutoniques. À Crécy, les Français n’ont-ils pas essuyé, avec Roger-Bernard, le comte de Pierregord, une mémorable défaite face aux archers gallois du prince de Galles ? Nos harnois blancs n’arrêtent point leurs traits. Ils pourraient bien devenir nos linceuls !
— Vous n’y étiez pas ! persifla l’un des chevaliers présents.
— Je ne vous ai point vu non plus caployer dans les marécages de Lituanie, messire ! Ni affronter l’Anglais et le Gascon, dans les faubourgs de la Madeleine à Bergerac ! Donnez des leçons de conduite à d’autres que nous, je vous prie ! »
Le chevalier qui nous avait interpellé s’accoisa. À la parfin, il n’avait participé à aucune de ces batailles.
« Messires, messires, nous ne sommes point là pour discourir de nos apertises d’armes. Sachez cependant, pour qui veut bien l’entendre, que messire Bertrand Brachet de Born s’est vu décerner, par le grand maître de l’Ordre de Sainte-Marie des Allemands, la plus haute distinction dont il pouvait ceindre un chevalier étranger pour prouesses et courage au combat : la Croix de Fer ! »
Le baron de Beynac avait mis fin d’adroite façon à un clabaudage indigne, mais qui pouvait fort bien nous conduire à l’arme, et dégénérer.
Je l’en remerciai en inclinant le chef. Je pensais à mon nouvel ami en qui j’avais moult fois plus confiance que dans l’armée royale qui rassemblait ses forces : messire Bertrand du Guesclin.
Devant la réticence d’aucuns à rallier l’ost royal, le baron de Beynac dut argumenter pour convaincre les plus récalcitrants et décider les plus indécis. Avec un sens de la rhétorique remarquable, fruit d’un esprit délié et d’informations nouvelles que nous n’avions pas, il brossa à grands traits la situation monétaire, politique et économique. Si elle n’était pas encore perdue sur le plan militaire, elle était désastreuse sur les autres plans.
« Les loyers, les cens ne rapportent plus, les rentes fondent, les prix flambent. Le petit peuple gronde. Le blanc est
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