La lumière des parfaits
relinquir sur son ordre, ce qui était peu probable eu égard au caractère du roi Jean, nous allions très prochainement être engagés.
Le vent d’une espouvantable défaite planait sur notre camp. Jean le Bon avait sacrifié ses meilleurs chevaliers dans l’engagement initial, laissé disloquer le gros de ses troupes, et dans un combat inorganisé, s’apprêtait à faire donner la troisième bataille, notre bataille de réserve. Trop tard pour qu’elle serve à quelque chose.
Cet homme aux cheveux blonds, bien que de belle taille, n’était point un géant pour autant. Sans doute avait-il sur le cœur l’humiliation de la fuite de son père Philippe de Valois, au soir de Crécy.
Il descendit de cheval, saisit la hache d’armes qu’il portait à l’arçon de son destrier et fit face aux maréchaux anglais Warwick et Suffolk. Notre bataille, la bataille du roi, entrait dans la mêlée. Et, en un dernier sursaut d’orgueil ou de superbe chevaleresque, il rassembla autour de sa personne ce qui lui restait de fidèles :
« Chevaliers de ma bannière, écuyers, par Saint-Denis ! Pied à terre ! Bacinets hauts ! Déchaussez les poulaines de vos solerets, si ne l’avez déjà fait ! Montjoie ! Saint-Denis ! Hardi, à moi, mes braves ! »
Sur la défensive pendant les premières heures du combat, le prince de Galles et John Chandos lancèrent aussitôt une attaque résolue.
Just’in time, pour eux. Car ils n’étaient pas moins épuisés que nous.
Dans un large mouvement tournant, le captal de Buch, Jean de Grailly, nous prit à revers. Chandos put alors, de face, lancer l’assaut final. Le temps d’une attaque massive était venu. Le prince de Galles, Édouard de Woodstock, se porta lui-même vers la mêlée. Depuis le matin, il n’avait guère quitté son observatoire, à la lisière du bois de Nouaillé.
Chandos regroupa ses troupes. La bannière d’Angleterre fut plantée dans un buisson, assez haut pour que nous la vîmes et qu’elle guide le ralliement de leurs corps de bataille.
Les archers gallois manquaient de flèches et devaient se glisser près des corps qui jonchaient le sol pour récupérer les traits qu’ils avaient déjà décochés. Les chevaliers anglais et gascons étaient las d’une journée qui avait commencé bien avant l’aube, et qui s’étirait jusqu’au soir. Mais ils avaient décidé d’en finir.
« Si perçurent une grande flotte de gens d’armes tout à pied, et qui venaient moult lentement. Là était le roi de France en grand péril, car Anglais et Gascons en étaient maîtres et l’avaient déjà tolu à monseigneur Denis de Morbecque ».
Les fidèles tombèrent autour de nous, comme dans un jeu de quilles. Geoffroy de Charny fut occis, les doigts de son gantelet crispés sur l’oriflamme. Brienne, le duc de Bourbon, le sire de Pons, se battirent avec la rage du désespoir ; leurs cottes d’armes, sur leurs armures de plattes, étaient écarlates du sang godon. Ils succombèrent à leur tour sous la multitude.
Encerclé de toutes parts, j’en appelai à mes écuyers. L’épée d’une main, la hache de guerre tournoyant de l’autre, je pointais d’estoc, tranchais de taille, décervelais des crânes, entaillais des poitrines, mutilais des bras et des mains. Mais plus je mettais d’ennemis à bas, plus il s’en précipitait sur nous. Le roi Jean, à quelques pas de nous, se battait avec pareille fureur. Avec le même succès. En vain.
Sur le champ de notre bataille, celle du roi Jean, des râles d’agonisants, des cris de guerre, des ahanements de bûcherons qui tentaient de se tailler un passage à grands coups de hache, de fléau ou de masse d’armes, dans une forêt de Godons et de Gascons. Sang et sueur ruisselaient de nos visages, de nos poitrines, maculaient nos cottes et surcots d’armes.
Des gémissements, des supplications, le dernier soupir des moribonds, les hurlements des blessés. Le hennissement de destriers. La plaine était jonchée de mailles éclatées, de plattes disloquées, de bannières déchirées, de hampes et d’épées brisées, de bras et de jambes tranchés, de têtes décollées, de crânes décervelés.
Partout, un lac de sang inondait la terre et l’herbe, sans cesse labourées par les solerets des hommes et les sabots des chevaux encore sur pieds un court instant, avant de s’effondrer et de trépasser peu après.
La lutte finale fut acharnée. La hache
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