La lumière des parfaits
d’armes à la main, le roi faisait des trouées sanglantes dans la masse des assaillants. Mais la sueur l’aveuglait, la fatigue rompait ses membres pourtant robustes.
De toutes parts, on lui criait « Rendez-vous ! Rendez-vous ! Autrement vous êtes mort ! »
Denis de Morbecque, un chevalier de Saint-Omer qui servait les Anglais, clama au roi en langue française :
« Sire, sire, rendez-vous !
— À qui me rendrais-je, à qui ? Où est mon cousin le Prince de Galles ? Si je le voyais, je lui parlerais, déclara Jean II, recru de fatigue.
— Sire, répondit messire Denis, il n’est pas ici ; mais rendez-vous à moi et je vous mènerai près de lui. »
Il se nomma ; le roi se résigna, tendit son gant à Denis de Morbecque et lui dit :
« Je me rends à vous. » Et le chroniqueur, Jean Froissart, de se lamenter :
« Dieu veuille réconforter et garder notre roi
Et son petit enfant qui est demeuré o soy (avec lui)
Et confondre les traîtres, qui par leur grand effroi
Ont trahi leur seigneur auquel ils devaient la foi. »
Morbecque n’a pas gardé longtemps son prisonnier. À peine Jean le Bon lui a-t-il remis son gantelet droit – il lui fallait se rendre ou se laisser tuer – que la foule des Anglais et des Gascons se disputa la prise. Le roi demanda alors à ce qu’on le conduise devant son cousin le prince de Galles.
C’est le roi de France qui est pris, expliqua-t-on aux deux observateurs du Prince Noir qui jouissaient de voir à leurs pieds une foule hurlant de joie, et prête à tout pour tirer son profit de l’affaire.
« Le veulent avoir et le challengent plus de dix chevaliers et écuyers ».
Tous jurèrent que le royal prisonnier était à eux. Dans la liesse, le vacarme était à son comble. Soudain, la foule se fendit. Warwick, l’un des deux maréchaux d’Angleterre, fit reculer les prétendants à la prime et s’inclina devant le roi de France. Prisonnier peut-être, mais roi.
Jean le Bon était harassé et fort inquiet pour sa vie. La vue du maréchal le rassérèna. Après tout, n’avait-t-il pas fait son devoir jusqu’au bout ? Il était sûr, maintenant, d’être traité selon son rang. Les règles de la chevalerie régissaient encore les comportements, me rassurai-je.
À l’instant précis où, les armes à la main, je reçus sur le bacinet un coup d’une telle violence que mon crâne explosa.
Sans que j’eusse le temps de recommander mon âme à Dieu.
Dieu veuille réconforter et garder notre roi
Et son petit enfant qui est demeuré à soy,
Et confondre les traîtres, qui par leur grand effroi
Ont trahi leur seigneur auquel ils devaient la foi.
Extrait des chroniques, de Jean Froissart.
Chapitre 10
Au cours des années de disgrâce MCCCLVI et MCCCLVII , de l’automne au printemps, en la Tour blanche de la cité de Londres. {20}
Calais. Douvres. Londres. Dans les voiles noires qui étouffaient nos esprits, je rêvais que j’étais encore vif. Que nous avions appareillé pour le port de Douvres. Que notre chevauchée, de Douvres à Londres, avait été jalonnée des symboles de notre éclatante victoire. Que le peuple, en grande liesse, huchait à oreilles étourdies :
« Vive le roi Jean ! Montjoie, Saint-Denis ! »
Je rêvais que les trompettes sonnaient des hymnes improvisés à notre gloire dans une cacophonie hurlante et métallique. Que les bannières aux lys de France claquaient au vent qui soufflait du large.
Je rêvais que Geoffroy de Sidon avait été dépouillé de son armure pour être revêtu de son plus beau surcot de chevalier à ses armes. Qu’il paradait à présent dans les rues de Londres. Que ses éperons d’or scintillaient au soleil, entre les deux lignes d’archers royaux aux armes de France.
Lorsque l’on me secoua comme un prunier, j’eus grand arroi de peines à ouvrir les yeux. Pour les refermer aussitôt. Des cris résonnaient dans mon chef.
La mort à mes chausses, je détalai comme un lapin, les muscles endoloris, les pieds en plomb. Et plus on se rapprochait, à entendre le martèlement des sabots sur les pavés dans mon dos, plus je tentais d’allonger le pas. Plus mes foulées devenaient saccadées, courtes. Des efforts considérables, pour arracher mes heuses du sol. Des efforts épuisants et vains, dans une nuit plus noire que l’encre.
Je happais quelques bouffées d’un air glacial, marchais tel un aveugle à l’intérieur du noir
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