La lumière des parfaits
choix de cette position était fort risqué : en cet endroit, le sol était spongieux.
Malgré cette manœuvre d’ensemble, ce fut dans le plus grand désordre que le combat reprit. J’observais, avec consternation, que la bataille ordonnée avait cédé place à un enchaînement de faits d’armes individuels. À ce moment du combat, il manquait à l’évidence un commandement.
Le roi Jean, à l’arrière, avec sa réserve, à dix pas de mes écuyers et de Geoffroy de Sidon, observait le désastre qui se déroulait sous ses yeux, mézail relevé, sans manifester la moindre émotion. Il semblait visiblement incapable de diriger le mouvement d’une armée de bannières en mal de prouesses.
Dans un camp, on criait « Montjoie ! Saint-Denis ! », dans le nôtre, « Saint-Georges ! Guyenne ! » Des cris de guerre, mais point d’ordres de bataille !
À présent, la bataille du dauphin Charles s’était mise en mouvement, à pied, au plus fort des affrontements. Charles y perdit aussitôt son fidèle Maignelay, qui portait à ses côtés la bannière aux armes de Normandie. D’autres morts jonchèrent bientôt le champ de bataille.
Conscient, malgré tout, que le vent de la victoire risquait de tourner en une cuisante défaite, Jean le Bon ordonna aux chevaliers de sa garde rapprochée de soustraire ses fils du combat. Tous ses fils. Sauf un, le plus jeune, Philippe :
« Guichard, et vous, Saintré, Landas, Vodenay, sortez les princes Charles, Louis et Jean de ce bourbier et menez-les en lieu sûr ! À Chauvigny, par exemple ! Vite ! Vite ! Avant que les Anglais ne les occisent ou ne les capturent ! Vous en répondrez sur votre vie ! Ils y seront, pour un temps, en sûreté ! »
Le sénéchal de Saintonge, Guichard d’Angle, et les trois autres chevaliers éperonnèrent leur monture. Ce fut ainsi que le dauphin Charles, Louis d’Anjou et Jean de Berry durent laisser à leur plus jeune frère, Philippe, la gloire de poursuivre le combat aux côtés de leur père.
Pour comble de malheur, contrairement au plan de bataille arrêté la veille et confirmé le matin même, le frère du roi, le duc d’Orléans, au lieu de se porter en renfort de la première bataille, celle du dauphin Charles, manœuvra avec tout son corps d’armée – trente-six bannières, deux cents pennons – pour venir se placer derrière la bataille du roi ! Derrière la réserve ! Notre position en fut dégarnie et directement exposée à l’ennemi.
Les seigneurs de Landas et de Vodenay étaient revenus au combat, dès qu’ils eurent mis les sires des fleurs de lys en sûreté. Le sénéchal Guichard d’Angle et Jean de Saintré avaient rejoint la bataille du duc d’Orléans qui était encore intacte, mais avait reculé derrière celle du roi.
Ce fut alors, autour de nous, autour de Jean le Bon, dont la grande taille n’impressionnait plus quiquionques, que se noua le drame. Quelque part entre le vignoble et une carrière à flanc de coteau.
Les batailles, devant et derrière nous, se disloquaient ou se débandaient par bannières entières, les unes au combat, les autres avant de l’engager. Les moins hardis quittaient les lieux sans vergogne, en vertu d’une ancienne ordonnance.
Avaient-ils tort ? Avaient-ils raison ? Cette question, mes vaillants écuyers, Onfroi de Salignac, Guilbaud de Rouffignac et moi, ne nous la posions pas. Nous étions féaux à notre roi, quand bien même nous doutions de plus en plus vivement de ses qualités, en tant que chef de guerre.
« Et commencèrent à tourner
« Le dos et à cheval monter.
Jean le Bon ne sembla pas surpris par ces défections qu’ils craignait, au point d’avoir, dès le matin, fait mettre un grand nombre de destriers à l’écart pour décourager les candidats à la récréance.
N’avait-il pas lui-même apposé son sceau à une ordonnance royale en l’an de grâce 1350, la veille des calendes de mai, qui reconnaissait, pour une armée relevant du ban féodal, le droit pour des seigneurs bannerets de se départir d’une bataille s’ils la jugeaient perdue et inutile à poursuivre ? Avant d’éviter d’être capturés et de bailler rançon ?
Geoffroy de Charny qui tenait fermement l’oriflamme de Saint-Denis, et tant d’autres, se dressaient séants sur leurs arçons, scrutant, au loin, le déroulement de cette bataille qui tournait au massacre et à la vaudéroute.
Nous étions conscients que, sauf à
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