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La lumière des parfaits

La lumière des parfaits

Titel: La lumière des parfaits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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conduit d’un égout au milieu de ruelles sombres, trébuchant et glissant sur les immondices, écœuré par leur odeur nauséabonde ; évitant ici un mendiant loqueteux qui tendait une escarcelle que je bousculais sur mon passage pour me retrouver nez à nez avec une folieuse aux lèvres rouges et épaisses. Elle me tendait une main couverte de verrues pour m’inviter à jouir de ses charmes fanés, les joues crevassées et grumeleuses, la voix éraillée.
     
    Soudain, au détour d’une venelle, je vis mon père. Un sourire aux lèvres, les bras ouverts, il m’invitait à le rejoindre. Puis son visage brûla, ses yeux devinrent deux gouffres noirs, sa peau se tendit et éclata, dégoulina en lambeaux de chair calcinés.
    Mes jambes se dérobèrent. Je m’effondrai sur le cul, adossé au mur d’une masure, incapable de distancer mes poursuivants, incapable d’ouvrir la bouche pour crier : Merci ! Je ne pus que murmurer ces quelques mots : « In nomine Christi ! Miserere mei ! » pour rémission de moult péchés et vain espoir de rédemption.
     
    « Messire Bertrand, de grâce, réveillez-vous ! » Une barbe noire, des cheveux hirsutes se penchaient sur moi. En vérité, je n’en distinguai les traits qu’à la faible lueur qui rentrait par un soupirail.
    L’unique lumière qui perçait, au coucher du soleil, me permit d’entrevoir le visage de ceux qui ne pouvaient avoir été mes deux écuyers, Onfroi de Salignac et Guilbaud de Rouffignac.
    Leur visage émacié, leurs traits tirés, leur barbe, l’odeur qui régnait dans ce cachot humide, leurs vêtements déchirés, puants… De rares grognements, quelques râles, des gémissements. Nous étions bel et bien emmurés. Mais où ?
     
    Je portai la main à la tête, parcourus mon crâne rugueux, couvert de bandages, douloureux comme si mille aiguilles en avaient recousu la peau, la tendant au point de la rompre aux points de ligature.
    « Où sommes-nous ? Qui êtes-vous ?
    — Grâce à Dieu, vous êtes sauf, messire Bertrand ! Nous étions fort inquiets. Voilà plus de quinze jours que vous délirez. Nous sommes enchefrinés dans un cachot de la Tour blanche. La prison du roi Édouard. En Angleterre ! À Londres, au cœur de leur cité.
    — Une prison ? À Londres ? Qu’est-il advenu de nos compains ? Et du roi Jean ? Du chevalier de Montfort ? »
     
    Ce furent mes derniers mots.
    C’est à peine si j’entendis quelqu’un dire :
    « Il a perdu à nouveau connaissance. Cette fois, je crains que ce ne soit la fin de messire Bertrand. »
     
    Réveillez-vous, sombres heures de la nuit,
    La mort revient comme un corbeau noir,
    Ses ailes, avec l’écho de minuit,
    Se confondent en un triste territoire.
     
    Le souffle de l’air pressentant malheur,
    Est devenu lui-même l’âme de la peur,
    Car la porte des ténèbres s’est ouverte,
    Libérant ce vent qui veut notre perte.
     
    Engourdi par la morsure du froid
    Le cœur de la vie s’est arrêté.
    Le mal creusant un couloir étroit
    Dans une cage nous retient prisonniers.
     
    Je sais pourtant que veille une lumière,
    Notre espérance, c’est son fragile foyer
    Que tentent s’étouffer ses mains de fer
    Dans un funèbre combat sans pitié…
     

    Et bien, non. Ce ne fut pas ce jour-là que le bon Dieu avait décidé de me faire passer les pieds outre. Je sortis de ma torpeur quelques heures plus tard, le corps fiévreux, les muscles endoloris, et réclamai à boire.
    Un visage inconnu s’approcha de moi, m’aida à me tenir séant, insista pour que je ne m’adosse pas au rocher qui suintait d’humidité et me tendit une écuelle que je portai à mes lèvres. L’eau avait un goût saumâtre ; j’eus envie de raquer, mais n’ayant rien dans le ventre depuis plusieurs jours, seule une salive bileuse me monta à la gorge.
     
    « Gui de Salignac de la Mothe-Fénelon, écuyer au service du chevalier de Floressas, messire Bertrand, votre compain d’infortune. Je viens du Quercy », me dit l’inconnu, avant de me tendre un récipient en bois, qui contenait des poids chiches et de rares morceaux de mauvais lard à peine tièdes.
    À la faible lueur du soupirail, je distinguai, assis ou couchés, une vingtaine de corps. D’aucuns étaient moribonds, d’autres, encore gaillards.
    « Depuis combien de temps sommes-nous enfermés dans cette geôle ? Que s’est-il passé ? Qui sont ces compagnons ? Que sont devenus les gens de notre bataille ? Ont-ils

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