La malediction de la galigai
concierge des Tourelles a dû agir de même. Mondreville est un homme puissant et riche. Il a prêté de l'argent au duc de Longueville et levé pour lui une centaine d'hommes durant la fronderie. Certes, Longueville n'a finalement pas envoyé d'armée soutenir les parlementaires parisiens, mais avec les confiscations qu'il pratiquait sur les taxes, les droits sur les forêts et la gabelle, il avait réuni près de trois mille fantassins et quinze cents cavaliers. Cette armée est toujours sous son commandement, et maintenant qu'il a retrouvé les faveurs de la Cour, qu'il va peut-être devenir gouverneur de Pont-de-l'Arche, personne n'osera s'opposer à son affidé.
Le carrosse s'arrêta devant le Grand-Cerf , une belle auberge aux bois de colombage couleur lie-de-vin.
â Vous semblez pourtant ne pas le craindre, monsieur Langlois, remarqua Fronsac.
â Je suis prévôt du roi, monsieur, répondit le vieil homme. J'ai prêté serment. (Il eut un petit rire grinçant.) Je sais bien qu'à notre époque cela paraît un peu désuet, mais quand les Langlois ont donné leur foi, ils ne varient point. Notre devise n'est-elle pas Gloria et Fortitudo  ? La reine sait que si Vernon est resté fidèle, c'est aussi par ma fermeté et celle de mon fils.
â Je m'en souviendrai, fit gravement Tilly en lui tendant une main, avant de descendre.
*
La rue Grande était bordée d'auberges et d'échoppes de commerçants et d'artisans, closes à cette heure. Louis demanda à Nicolas de raccompagner le prévôt et son fils au château, puis ils entrèrent au Grand-Cerf , tandis que Bauer conduisait sa jument à l'écurie.
C'est dans leur chambre que Gaston sortit le mémoire d'une de ses chausses. Il le tendit à Fronsac.
â Mondreville a juste vérifié que je n'avais pas d'arme et a pris cent écus dans ma bourse. Cent écus qui appartenaient à mon père ! Il n'a même pas songé que j'avais sur moi ces quelques pages.
Louis lut le document et leva les yeux vers Gaston quand il en arriva au million de livres en or.
â Langlois ne m'a jamais parlé d'une telle somme !
â Un million, Louis ! Tu comprends pourquoi on a tué mon père ? Continue ta lecture, tu verras que d'après le duc de Sully, que mon père avait rencontré, Concini aurait préparé le coup.
Louis se replongea dans les feuillets jusqu'à ce qu'il découvre les noms lâchés par le voleur découvert par le défunt père de Gaston.
â Petit-Jacques⦠Mondreville⦠Balthazar Nardi, fit-il à voix haute.
Il leva les yeux vers son ami :
â Jamais tu n'aurais dû aller voir Mondreville seul ! N'as-tu pas pensé que tu aurais pu tomber sur ces gens-là  : Petit-Jacques et Nardi ?
â Je sais ! fit Gaston d'un ton irrité, mais je te l'ai dit, je ne pouvais attendre. Et puis, je n'imaginais pas qu'on oserait user de violence contre un procureur de la prévôté de l'Hôtel ! Mais poursuisâ¦
Louis se replongea dans le mémoire qu'il dévora jusqu'à la fin.
â Ton père a été tué parce qu'il allait prévenir le roi, résuma-t-il quand il eut terminé. D'une façon ou d'une autre, ces gens-là  : Petit-Jacques, Mondreville et Balthazar Nardi, peut-être d'autres encore, ont dû apprendre qu'il partait à Paris.
â Oui. Ils ont rattrapé mes parents, les ont tués avec leurs serviteurs et ont fait croire à un accident. Voilà pourquoi un braconnier a vu deux hommes près de leur carrosse.
â Si je me souviens bien, Concini est mort le 24 avril. Et ton père a été tué le 15.
â Quel rapport ?
â Ton père n'a pu rencontrer le roi. Or, Louis XIII a fait arrêter et tuer Concini peu de temps après le vol⦠Et si un autre l'avait averti de la vérité ? Qui sait ce que Concini voulait entreprendre avec ce million⦠Peut-être a-t-on raconté au roi qu'il allait rassembler des troupes mercenaires, occuper le Louvre et se débarrasser de lui.
â Pures supputations⦠Qui l'aurait prévenu, puisque seul mon père savait ?
â Peut-être simplement Sully⦠De retour à Paris, il faudra tenter d'en savoir plus à ce sujet. Mais parlons plutôt de ce
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