La malediction de la galigai
prévôt de Vernon à Gaston.
Il était arrivé avec son fils à la tête d'une vingtaine d'archers à cheval. Et, immédiatement, ils avaient pris le chemin de Mondreville. La troupe et Bauer suivaient le carrosse de Fronsac, tandis que sur le siège du cocher, Pierre Langlois guidait Nicolas.
Dans la voiture, Tilly se montrait méconnaissable. Rasé de frais, ayant fait retailler sa moustache en queue de canard, il avait fait boucler ses cheveux au fer par une servante de l'auberge. Louis lui avait prêté des vêtements, évidemment un peu étroits et trop ternes à son gré, et Bauer passé un baudrier et une solide épée à l'espagnole.
â Que savez-vous de lui ? demanda Fronsac, renouant comme à l'accoutumée un de ses rubans de poignet.
â Je me souviens d'un brigand d'une incroyable audace et d'une rare férocité. Il volait sur les chemins le long de la Seine et s'attaquait aux gabarres des marchands, tuant sans pitié les haleurs et les mariniers qui lui résistaient ou simplement dans le but de les faire taire. On n'a jamais su beaucoup plus sur lui, sinon qu'il était jeune, se méfiait de tout et n'apparaissait que masqué. Quand il découvrait un traître, il l'écorchait ou lui coupait mains, pieds et langue avant de le jeter dans la Seine.
â Vous en parlez au passé, remarqua Louis, après avoir frissonné en entendant les atrocités commises par le truand.
â Un beau jour, on n'a plus entendu parler de lui. Peut-être est-il mort. S'il l'est, j'espère qu'il brûle en enfer.
â C'était lui, le vol des tailles ? s'enquit Gaston.
â On l'a pensé, car il en aurait été capable. Il naviguait fort bien, personne ne connaissait mieux la rivière, ses courants, et les bancs de sable. Vous savez comment s'est passé le vol ?
â Non, répondit Fronsac, satisfait que le prévôt en parle le premier.
â Le transport était fait par une gabarre halée sur le chemin et escortée d'une importante troupe d'archers et de mousquetaires. Les voleurs ont fondu sur elle avec une barque dissimulée dans un bras mort, ont tué les mariniers avec des arbalètes, coupé les câbles de halage et entraîné la gabarre sur l'autre rive. Personne n'a pu les poursuivre.
â C'est pour ça que vous pensez qu'il s'agit de Petit-Jacques ?
â Pour ça et aussi parce qu'à compter de ce jour, il a disparu. Mais surtout on a trouvé deux cadavres d'hommes à lui sur les berges. L'un d'eux a prononcé son nom avant de mourir. Pour moi, ceux qui avaient préparé le vol se sont aussi débarrassés de Petit-Jacques, bien qu'on n'ait jamais retrouvé son corps.
â Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils se soient déchirés entre eux. Un vol de un million de livres attire les convoitises ! laissa tomber Louis.
Le prévôt planta ses yeux dans les siens. Durant un instant, le silence fut pénible. Langlois semblait figé. Louis remarqua ses traits tirés et ses nombreuses rides. C'était le visage d'un homme usé et fatigué.
â Vous saviez ? dit-il enfin dans un reproche.
â Gaston savait, monsieur le prévôt, répondit Fronsac en désignant son ami. Pourquoi ne m'aviez-vous pas révélé qu'il s'agissait d'une telle somme ?
â à dire vrai, je ne souhaitais même pas vous parler de ce vol. C'est une affaire oubliée, enterrée. Personne n'a envie qu'elle revienne sur le devant de la scène.
â Pour quelle raison ? s'étonna Gaston.
Le prévôt soupira.
â Le lendemain du vol, je m'en souviens comme si cela s'était passé hier, je me trouvais au château, dans la salle où monsieur Fronsac m'a vu hier, répondit le prévôt d'un ton las. Il y avait là votre père, monsieur de Tilly, le gouverneur de la ville et du château, le lieutenant du vicomte de l'Eau, plusieurs échevins de mes amis encore parmi nous. Tout le monde était apeuré. Depuis des mois, le royaume vivait dans la terreur. Le maréchal d'Ancre confiait au bourreau ceux qu'il accusait de trahison envers lui. Qu'allait-il nous arriver lorsqu'il apprendrait le vol de la recette des tailles ? Certains songeaient déjà à fuir le royaume. Puis ce fut l'accident de monsieur de Tilly.
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