La malediction de la galigai
tant ses troupes que ses fidèles l'abandonneront. Le cardinal se trouve actuellement en grande disette financière. Déjà , cet hiver, c'est Monsieur le Prince qui lui a prêté le nécessaire, or il est impensable qu'il l'aide à nouveauâ¦
â Je suis tout ouïe, fit Gondi, joignant l'extrémité de ses mains.
â Les impôts ne rentrent plus, en particulier la gabelleâ¦
â Je le sais. Monsieur Joly venait justement m'en parler, car on ne paye plus les rentes de l'Hôtel de Ville gagées sur les fermes de la gabelle.
Bréval hocha la tête.
â La taille reste le dernier impôt sur lequel Mazarin peut compter. Qu'on empêche les recettes d'arriver à Paris et le cardinal n'aura plus rien.
â Séduisante construction de l'esprit, monsieur, mais la taille vient de tous les gouvernements de province. Comment assécher un tel courant ?
â Le quart ou le cinquième arrive de Normandie. Il est facile de le détourner.
â De quelle manière ?
â Monsieur Mondreville, racontez au coadjuteur ce que vous avez découvert.
â En 1617, monseigneur, le maréchal d'Ancre, alors gouverneur de Normandie, a organisé pour lui-même le vol de la recette des taillesâ¦
Mondreville fit un récit de l'entreprise que Gondi écouta, le visage impassible. Quand il eut terminé, le coadjuteur laissa tomber, d'un ton assez méprisant :
â Vous nous proposez de faire ce qu'a fait Concini ? Voler les tailles ?
â Ce ne serait pas un vol mais un butin, remarqua Beaufort.
Gondi afficha une moue dédaigneuse pour marquer qu'à ces yeux la nuance relevait de l'infime.
â En prenant les tailles, nous ferions d'une pierre deux coups, car ce butin nous permettrait de disposer de quelques clicailles pour poursuivre la lutte, ajouta Beaufort. Quand monsieur Mondreville est venu me voir à Anet, j'étais là pour obtenir de mon père les ressources me faisant défaut. Mais il a refusé de me prêter le moindre écu tant que je n'aurais pas salué le Mazarin.
â C'est tout à ton honneur, François. Tu sais pouvoir compter sur ma bourse, bien que moi-même, je dépende aussi beaucoup de mon frère 2 .
â Mais je ne te propose pas cette entreprise afin de nous enrichir, Paul ! Tu me connais, peu m'importe l'argent ! s'emporta le duc, voyant combien le coadjuteur restait réservé. Après tout, les harengères des Halles m'ont proposé une pension de soixante mille livres si je m'opposais au mariage de mon frère avec la guenon Mazarine. Je n'ai donc besoin de rien. Seulement les tailles de Normandie nous donneraient les moyens de lever des hommes.
â Combien cela représenterait-il ? s'intéressa Gondi.
â Monsieur Mondreville s'est renseigné. Plusieurs transports de tailles ont été repoussés par Longueville, mais il doit maintenant laisser agir le receveur général, puisque la paix est faite. Le prochain transport se déroulerait en octobre. Deux millions de livres que Mazarin attend déjà avec hâte.
â Deux millions ! Mazette !
â Sans cet argent, l'Italien sera complètement démuni. Une telle privation sera bien supérieure à une victoire militaire.
â C'est certain, reconnut le coadjuteur qui commençait à être tenté par l'entreprise.
â De surcroît, nous avons autant de droits sur cet argent que ce gredin !
Le silence se fit.
Malgré le noble discours de Beaufort, Gondi avait parfaitement deviné que le duc voulait surtout s'approprier la recette des tailles. Néanmoins, priver Mazarin de ressources représentait un solide argument en faveur de l'opération. Quant à lui-même, il reconnaissait intérieurement que disposer d'une part de ce butin soulagerait ses finances. Même s'il utilisait sans vergogne les ressources du diocèse de Paris, il manquait continuellement d'argent, d'autant que le chapitre de Notre-Dame lui reprochait de plus en plus souvent ses dépenses. C'est qu'il menait grande vie, recevait beaucoup, venait d'acheter de la vaisselle d'argent et du linge, bref de s'endetter pour quatre cent mille livres.
â Comment voyez-vous ça ? laissa-t-il tomber d'une voix indifférente.
Mondreville raconta le vol des tailles tel que l'avait
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