La malediction de la galigai
Nonnain était déjà loin.
Desgrais et La Goutte avaient dîné, mais recommencer ne leur faisait pas peur. Les domestiques dressèrent donc une table dans l'antichambre et Armande se joignit aux hommes. Pendant qu'ils se servaient des morceaux du pâté en croûte de belle taille porté par le rôtisseur, Gaston résuma l'affaire au sergent et à l'exempt.
â Il s'agira d'une opération officielle, Desgrais. J'attends une lettre de cachet et un décret de prise de corps. L'arrestation de Petit-Jacques sera donc à ton actif. Cependant la manÅuvre ne manque pas de danger et tu es libre de dire non.
â Vous plaisantez, monsieur ! Pour rien au monde, je refuserai de participer à l'arrestation d'un brigand si célèbre il y a trente ans. Racontez-moi plutôt comment vous voyez la chose.
Gaston présenta le plan élaboré, et le rôle de La Goutte.
â Je ferai sans peine le colporteur, assura le sergent. Il y a au Grand-Châtelet une montagne d'almanachs, de livres et d'images saisis chez l'imprimeur Merlot. J'en mettrai quelques poignées dans une hotte en osier.
â Comment faut-il être armé ?
â Bauer arrivera demain avec des corselets, des casques et tout le nécessaire. J'ai aussi ici de quoi vous équiper. Que chacun possède une épée et deux pistolets. Il est inutile de prendre des mousquets. Nous aurons aussi demain les documents officiels envoyés par Son Ãminence. Enfin, monsieur Fronsac va proposer aux frères Bouvier de se joindre à nous.
â J'ai une autre visite à accomplir, annonça Louis. Je veux une nouvelle fois interroger Bernardo Gramucci aux Cordeliers.
Ils s'y rendirent après le repas, en compagnie de Richebourg, Desgrais et La Goutte ayant promis de revenir le lendemain en vue d'une ultime conférence.
1 L'équivalent du Trésor public actuel.
2 Voir L'Homme aux rubans noirs , du même auteur.
39
A ux Cordeliers, Bernardo Gramucci les reçut dans sa cellule. Gaston et Louis présentèrent Richebourg et racontèrent l'avoir retrouvé dans la maison du chevalier de Valois, laquelle avait appartenu à Mondreville puis à Bréval, après 1617.
â Ils avaient dû mettre la main sur les actes de propriété que Nardi conservait au premier étage, fit Gramucci.
Louis annonça ensuite au prieur qu'ils partiraient le surlendemain se saisir de Mondreville, s'installant discrètement dans la maison de Tilly pour attendre la nuit durant laquelle ils attaqueraient.
Ayant écouté leur plan, le cordelier y vit plusieurs faiblesses :
â Mondreville s'attend à votre arrivée. Il y aura des sentinelles, des chiens, et tout le monde sera sur le qui-vive, même la nuit. Au moindre bruit, vous serez repérés. Or, ils connaissent les lieux et sont autrement plus nombreux que vous.
â Nous n'avons pas de solution de rechange, répliqua Gaston, maussade.
â Je peux quand même vous faire quelques suggestions, proposa Gramucci.
Il les leur exposa avant d'ajouter :
â Après votre dernière visite, je me suis souvenu de quelque chose dont je ne vous avais pas parlé.
â Quoi donc ? demanda Tilly.
â C'est de peu d'importance, mais il s'agit d'un souvenir qui m'obsède maintenant, des paroles qu'a prononcées madame la maréchale avant son exécution.
â Qu'a-t-elle dit ? s'enquit Louis.
Le prieur resta un moment les yeux dans le vague, comme plongé dans ses souvenirs.
â La foule criait : « La diablesse ! La sorcière ! La vilaine ! » madame la maréchale restait digne, serrant seulement une croix contre elle. J'étais au pied de l'échafaud. Je peux vous l'avouer, je pleurais. Puis le silence s'est fait, comme pour toute exécution au moment fatidique où la vie va être détachée de l'enveloppe terrestre. L'exécuteur lui a conseillé de se recommander à Dieu. Elle a pardonné à ses bourreaux, comme l'exige la tradition, et, à cet instant, j'ai suivi son regard et aperçu Mondreville et Petit-Jacques. Elle aussi venait de reconnaître le premier. Elle a alors murmuré, en italien, un anathème que je suis seul à avoir entendu.
â Qu'a-t-elle dit ? répéta Louis.
â « Mondreville ! La mia maledizione
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