La malediction de la galigai
fervents anti-Mazarin, mais en même temps susceptibles d'être corrompus ?
Après quelques hésitations, le gantier lui conseilla Canto, Pichon et Sociendo. Les trois hommes se trouvaient toujours à Paris, fort démunis, et, bien payés, Ganducci jugeait qu'ils feraient de bons espions.
Il communiqua les trois noms à l'abbé le lendemain du jour où Fronsac et Tilly avaient accepté de ne plus s'intéresser à eux.
*
Fouquet les avait d'abord rencontrés à la Fosse aux Lyons, où ils avaient lié connaissance, puis les avait convoqués chez lui, dans sa maison de la rue de Richelieu, les faisant passer par l'entrée discrète du jardin de la rue Sainte-Anne.
L'abbé Basile avait fait préparer dans sa chambre une collation de vins aromatisés et de confitures. Quand son valet introduisit les trois visiteurs, il les reçut en pourpoint et haut-de-chausses avec épée au côté et leur proposa aimablement de s'asseoir.
Canto et Pichon étaient aussi armés, souhaitant passer pour des gentilshommes.
â Messieurs, je suis très satisfait que vous ayez accepté de me rendre visite. Laissez-moi vous servir, leur dit-il.
Quand il les avait abordés à la Fosse aux Lyons , il s'était fait passer pour l'intendant d'un seigneur de province cherchant des serviteurs de confiance pour monter sa maison à Paris.
â Savez-vous que vous m'aviez été recommandés ? ajouta-t-il en emplissant les verres.
â Nous ? s'enquit Pichon.
â Oui, par des gens de qualité de votre quartier, que je ne peux nommer. Puis-je maintenant vous poser quelques questions ?
â Bien sûr ! approuva Canto, en se rengorgeant.
â On m'a dit que vous aviez été officier, monsieur de La Charbonnière, et vous marchand à Bordeaux ?
â En effet, officier de Monsieur le Prince, répliqua Pichon. J'ai quitté son service à la suite d'un désaccord, Son Altesse étant insupportable avec ses serviteurs !
â J'étais effectivement marchand de vin, et je m'occupe d'autres affaires ici à Paris, dit Sociendo.
L'abbé hocha la tête chaleureusement, ne laissant en rien savoir que ces affaires étaient deux bordelières.
â Je crois que vous n'aimez guère Son Ãminence, fit-il.
â Qui l'aime ! laissa tomber Canto avec mépris.
â Ma proposition va donc être assez délicate⦠Accepteriez-vous une charge payée un millier de livres par an ?
â Ma foi, c'est bien peu pour des gens comme nous, fit Pichon avec suffisance, mais dites-nous en plus. Y a-t-il des revenus accessoires ?
â Sans doute ! Seulementâ¦
â Seulementâ¦
â Vous seriez au service de monsieur Le Tellier.
â Le ministre ?
â Le ministre.
Déroutés, les trois fripons s'interrogèrent du regard. Ils avaient été pour la Cour, puis pour la Fronde, mais en vérité n'appartenaient à aucune faction, aussi la proposition de leur interlocuteur était-elle inespérée. Le Tellier était ministre de la Guerre et le principal ministre du Conseil royal, à part Mazarin et le garde des Sceaux. Il avait même, disait-on, l'oreille de la reine. à son service, leur fortune semblait assurée.
â Nos gages seraient payés quand ? s'enquit Pichon.
Basile, resté debout, se rendit à une armoire, l'ouvrit et en sortit trois sacs brodés qu'il apporta.
â Voici un premier quartier pour chacun d'entre vous. De plus, vous disposerez d'un brevet signé par monsieur Le Tellier.
â Et quel sera exactement notre service ? demanda Sociendo qui devinait cet homme sur le point de leur proposer une besogne peu ordinaire.
â Vous n'aurez affaire qu'à moi. Je vous enverrai à des réunions ou des conférences et vous me rapporterez ce qui s'y est dit et qui était présent.
â Quel genre de conférence, monsieur ?
â Voici des titres vous assurant la possession de rentes de l'Hôtel de Ville. Vous le savez, les rentes ne sont plus payées, car les fermiers sont en banqueroute. Il vient de s'établir un syndicat des rentiers. Vous irez assister à leurs réunions pour me répéter ce qui s'y dira. N'hésitez pas à gagner la confiance des participants en proférant tout le mal que
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