La malediction de la galigai
de la chambre des requêtes du Palais et lui aussi syndic, prit la parole. Charton, virulent frondeur, était très populaire depuis son arrestation avec Broussel, l'année précédente, arrestation ayant provoqué les barricades 3 . Il expliqua où en étaient les discussions avec les fermiers et M. Molé, le premier président du Parlement. Puis, à son tour, il fit copieusement huer Mazarin et la reine.
Gaston de Tilly constata que les trois pendards étaient parmi ceux qui criaient le plus fort contre le gredin de Sicile, mais après l'intervention du président Charton il entendit distinctement Pichon murmurer à Canto :
â Fouquet et Le Tellier seront contents de ce qu'on leur ramène ! J'ai pris les noms de ceux qui ont parlé le plus fort ! Les pauvres gens, s'ils savaient où ils vont finir !
Canto gloussa.
â Faisons tout de même attention à ne pas trop nous faire remarquer, insista le plus corpulent, qui jetait des regards autour de lui, visiblement mal à l'aise.
â Rassure-toi ! répliqua Pichon. Que risquons-nous ? Nous avons tous nos brevets ! N'oublie pas ce qu'il y a dessus ! Sur le mien est écrit : Sa Majesté, se confiant particulièrement en la fidélité du sieur Pichon, sieur de La Charbonnière, lui a ordonné, par l'avis de la reine Sa Mère, de veiller aux dites assemblées pour découvrir les desseins contre son service  !
â J'ai d'ailleurs une lettre de satisfaction de la reine ! renchérit Canto.
à cet instant, Pichon lui donna un coup de coude, venant de s'apercevoir que Tilly n'était pas loin ; mais ce dernier paraissait indifférent aux paroles des trois hommes.
Il avait pourtant tout entendu. Et quand il rapporta la conversation à Louis, celui-ci comprit pourquoi Ganducci souhaitait qu'ils laissent tranquilles les trois pendards.
Ils étaient devenus des espions de Mazarin.
1 Sur les relations entre la banque Tallemand et le financier Nicolas Rambouillet, voir L'Homme aux rubans noirs , du même auteur.
2Â Authentiques.
3 Voir Le Secret de l'enclos du Temple , du même auteur.
50
L e samedi 11 décembre, à sept heures et demie du matin, rue des Bernardins, un cavalier dont le manteau drapé cachait le pourpoint et la figure, s'approcha du carrosse dans lequel Guy Joly, conseiller au Châtelet et syndic des rentiers de l'Hôtel de Ville, venait de monter. S'appuyant contre la portière, il déchargea à bout portant un pistolet d'arçon. La fumée enveloppa suffisamment la voiture pour que Joly fasse disparaître la paille protégeant son bras et que l'agresseur puisse se sauver à toute bride. Dans la surprise et l'obscurité, personne ne reconnut M. d'Estainville, écuyer du marquis de Noirmoutier. Un des conjurés.
Ameutée par les cris de quelques frondeurs postés là comme par hasard, une foule s'amassa immédiatement. On se mit à plusieurs pour descendre la victime inconsciente et la transporter jusqu'à la boutique d'un barbier chirurgien, au bout de la rue des Bernardins, en face de la rue Saint-Nicolas-du-Chardonnet.
L'homme de l'art déshabilla Guy Joly et découvrit au bras gauche une mauvaise plaie, à l'endroit où les balles étaient passées ; une blessure que le syndic s'était infligée lui-même la nuit précédente, avec de la poudre. Le chirurgien ne douta point que ce ne fût un coup de feu. Il posa un pansement pendant que, dans la rue, des partisans du duc de Beaufort affirmaient que l'entreprise ne pouvait venir que de la Cour et du cardinal Mazarin, eux qui cherchaient à se défaire des syndics.
Louis Charton, président à mortier au Parlement et l'un des syndics vus par Gaston et Louis à l'Hôtel de Ville, habitait en face de l'endroit d'où le coup de feu était parti. Colonel du quartier 1 , mais ignorant tout de la cabale, il fut persuadé qu'on voulait l'assassiner comme Joly. Immédiatement, il rassembla la milice et fit battre le tambour.
L'ensemble du quartier s'agita, la populace sortit des maisons et des boutiques. Quand la foule fut suffisante, les meneurs l'entraînèrent jusqu'au Palais, criant toutes sortes de menaces contre Mazarin et le prince de Condé.
Au Palais de Justice, la horde pénétra dans la chambre de la Tournelle. Quelques frondeurs,
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