La malediction de la galigai
braver ses interdits, il comprenait que ce n'était pas la vraie raison. C'est là que, pour la dernière fois, il avait longuement parlé à son père.
Inspirant un grand coup, comme s'il partait à la bataille, il ouvrit la porte de l'escalier dans la tourelle et le grimpa.
*
Tout était encore comme dans ses souvenirs. Le lit à custode, l'armoire, la table de travail de son père sur laquelle reposaient deux encriers et de vieilles plumes d'oie. Un grand coffre de bois.
La tête lui tourna un instant. Il revit son père, soucieux, écrivant un mémoire. Assis sur le lit, en regardant le vieux miroir au tain constellé de craquelures, il vit un enfant parler. Les larmes lui vinrent aux yeux.
â Maman vous attend, monsieur mon père.
â J'arrive. Je range ce document et je viens.
â Quand je serai grand, j'écrirai comme vous, monsieur mon père, et moi aussi je chasserai les brigands.
â Sûrement, mon fils.
â Allez-vous ouvrir votre coffre secret, monsieur mon père ?
â Oui, je vais ranger ce mémoire.
Son regard s'égara vers l'armoire. Le coffre secret aux armes des Tilly ! Comment avait-il pu l'oublier ? Il se leva et ouvrit le meuble. Il contenait du pauvre linge. Il tira l'un des tiroirs. La clef était toujours là  ; son cÅur se mit à battre un peu plus fort.
Il s'arc-bouta contre l'armoire. D'abord, elle ne bougea pas, coincée par la poussière et les ans. Finalement il parvint à la faire glisser et vit le coffre dans le mur, couvert d'épaisses couches de toiles d'araignée. Il passa la main devant, chassant la poussière et révélant la devise : Nostro sanguine tinctum . Il mit la clef dans la serrure et la fit tourner difficilement. Puis il tira la porte de fer.
Tout était là . Les lettres attachées par un cordon, la centaine d'écus d'or, et le mémoire jauni. Son oncle n'avait jamais trouvé la cachette.
Il prit le document presque en tremblant et retourna s'asseoir sur le lit.
C'était une enquête de son père sur un vol des tailles royales. D'après les dates relatant les recherches, le vol avait eu lieu quelques jours avant sa mort. La somme détournée représentait un million de livres en or !
En lisant cela, Gaston eut un instant le vertige, puis il comprit qu'il venait de découvrir la raison pour laquelle on avait assassiné ses parents. Un million en or ! Bien des voleurs tueraient un prévôt pour beaucoup moins.
Il poursuivit sa lecture. Le mémoire relatait ce qu'avait fait son père les deux jours suivant le vol ainsi que l'interrogatoire d'un des voleurs, découvert mourant, tué par ses complices.
Sur un feuillet séparé, son père avait aussi écrit avoir rencontré le duc de Sully qui lui avait demandé d'aller raconter sa découverte au jeune roi. Selon lui, le vol aurait été préparé par Concini.
Concini ! Le maréchal d'Ancre, mort quelques jours après son père !
Tout était-il lié ?
Gaston conduisait des enquêtes de police depuis vingt ans. Sans avoir le talent de déduction de son ami Louis Fronsac, il savait raisonner.
Ce Balthazar Nardi, nommé par l'un des brigands, avait volé la recette des tailles pour Concini. Son père allait dénoncer l'instigateur du vol au roi. D'une façon ou d'une autre Concini l'avait appris⦠et l'avait fait assassiner. Puis Concini avait été tué et l'affaire était tombée dans l'oubli.
Qui aurait-il pu interroger ? Louis XIII et Sully étaient morts.
Gaston se sentait coupable. S'il avait été proche de son oncle, il aurait peut-être appris plus tôt qu'on avait tué ses parents. Et surtout, le nom du criminel !
Lorsqu'il entrait en chasse d'un scélérat, tel le sanglier auquel il ressemblait, Gaston préférait foncer, tête baissée devant les difficultés plutôt que de tenter de les contourner comme Fronsac.
Il y avait un autre nom dans le mémoire. Se pouvait-il que ce soit la même personne que celle nommée par son oncle ? Il décida de se renseigner auprès du curé. Les prêtres savaient beaucoup de choses, même en dehors de la confession. Ensuite, si nécessaire, il irait interroger ce personnage. Après tout, n'était-il pas procureur à la prévôté de l'Hôtel du
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