La malediction de la galigai
individu semblait d'autant plus inquiétant que son visage aux yeux gris et à la courte moustache en pointe révélait une fureur à peine maîtrisée.
Il balaya rapidement la salle des yeux et, les ayant vus, se dirigea vers eux. Immédiatement Pichon et Canton furent sur leur garde.
On semblait connaître le nouveau venu, car à mesure qu'il avançait d'une démarche souple et assurée, les conversations cessaient ou baissaient d'un ton. Un diffus sentiment de crainte, ou de curiosité, s'installa dans la salle.
Persuadé que c'était à eux qu'il en avait, Canto avait posé la main sur son épée. Mais il perçut un éclair d'inquiétude chez son voisin, le petit-bourgeois, et comprit alors qu'il s'était mépris.
â Charles, fit le nommé Bréval entre ses dents : Thibault de Richebourg se dirige vers nous.
Le jeune homme à la tête pouilleuse se retourna, tandis que Canto et Pichon échangeaient un regard entendu. Il allait y avoir querelle.
Le gentilhomme nommé Richebourg s'arrêta à trois pas de leur table et s'adressa sèchement au nommé Mondreville.
â Monsieur, allant préparer mon cheval, j'ai trouvé ma selle dans la boue de l'écurie. On m'a dit que c'est vous qui l'y avez jetée.
â Et alors ?
â Je vous prie d'aller la chercher et de la nettoyer.
â Ah !
Le nommé Richebourg s'étant avancé, il avait posé l'extrémité de ses mains sur la table. Mondreville prit son pot de vin et le vida sur ses doigts.
L'autre fit un bond en arrière :
â Par les pantoufles de Belzébuth ! Vous avez une épée, monsieur l'insolent ! Réglons ça dans la cour, tout de suite !
Le jeune Mondreville se leva en roulant les épaules, sourire insolent aux lèvres.
â Non ! intervint Bréval, se dressant à son tour.
â Sur ma vie, ne vous mêlez pas de ça, monsieur Bréval ! menaça Richebourg.
Paniqué, le bourgeois se tourna vers Canto et Pichon.
â Messieurs, je vois que vous portez une épée, êtes-vous gentilshommes ?
â Je me présente, Pichon de La Charbonnière, et mon ami est le seigneur de La Cornette.
â Intervenez, je vous en prie, messieurs ! Ces jeunes gens vont s'entre-tuer pour une broutille, supplia le bourgeois.
Déjà les deux garçons se dirigeaient vers la sortie.
Canto opina, se leva et les rattrapa à grandes enjambées :
â Attendez-moi, messieurs !
Si Richebourg ne se retourna pas et passa la porte, Mondreville eut un bref regard en arrière. Mais voyant celui qui l'interpellait, il l'ignora à son tour.
Pichon rattrapa Canto dehors. Déjà les deux garçons dégainaient. Richebourg avait enroulé son manteau autour de son bras gauche et saisi sa dague. Pichon connaissait bien cette manière de se battre à l'ancienne, toujours en usage chez les vrais bretteurs. Quant au jeune Mondreville, à la façon guindée dont il se mettait en garde, il devina qu'il n'aurait aucune chance. Le nommé Richebourg allait le saigner comme un cochon.
â Messieurs, intervint-il, dressant une main conciliante. En tant qu'officier de monsieur le marquis de Duras et de Monsieur le Prince, je vous supplie de bien vouloir baisser vos armes et m'écouter un instant.
â De quoi vous mêlez-vous, monsieur ? s'agaça insolemment Thibault de Richebourg.
â Les duels sont interdits, intervint Bréval. Charles, si vous êtes tué, votre père fera pendre monsieur de Richebourg. Et si vous le tuez, c'est la reine qui vous fera couper la tête !
Richebourg haussa les épaules avec indifférence, comme si ces lois ne le concernaient pas.
â Messieurs, le 17 juin a eu lieu aux Tuileries une altercation entre monsieur le duc de Beaufort et monsieur le duc de Candale⦠fit Pichon. J'y étais.
â Et alors ? s'enquit Richebourg.
â Ces deux grands seigneurs devaient se rencontrer pour une affaire d'honneur. Pourtant, monsieur le duc d'Orléans et Mgr le prince de Conti les ont suppliés de n'en rien faire durant quelques jours. Malgré l'importance de leur désaccord, malgré leur querelle qui avait été violente et publique, ils ont accepté de reporter leur duel, et, après de longues négociations, monsieur
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