La malediction de la galigai
le duc d'Orléans est parvenu à les raccommoder. Si le petit-fils d'Henri IV et le fils du duc d'Ãpernon ont accepté un arrangement, ne pouvez-vous vous-mêmes sans honte remettre votre épée au fourreau, au moins pour quelques heures ?
Les deux jeunes gens restaient immobiles, indécis. Entre-temps, la salle s'était vidée et les clients les entouraient, chacun commentant avec gourmandise le duel à venir. Canton entendit que les paris et les encouragements allaient tous vers Richebourg.
Le cabaretier arriva alors en courant :
â Monsieur de Richebourg, j'ai fait nettoyer et cirer votre selle ! Il n'y a plus aucune raison de vous battre !
L'offensé parut indécis. Bréval insista :
â Je vais parler à mon jeune ami, monsieur de Richebourg ; je saurai le convaincre de vous faire connaître ses regrets.
â Jamais ! cria alors Mondreville.
â Charles, tais-toi ! Nous verrons cela ensemble !
Le jeune godelureau ouvrit la bouche pour protester, mais resta finalement silencieux.
Après un instant d'hésitation, Richebourg rengaina en s'adressant à Pichon :
â Monsieur, j'attends de vos nouvelles pour un accommodement. Quel est votre nom ?
â Pichon de La Charbonnière, monsieur. Lieutenant de Mgr le prince de Condé. Mon ami est le seigneur de La Cornette.
â Thibault de Sabrevois de Bouchemont de Richebourg, seigneur de Saulx, d'Ãcluzelles, des Mousseaux, du Mesnil, de Sermonville, énuméra le jeune homme en s'inclinant avec grâce.
Il rangea sa main gauche, replaça son manteau sur son épaule, ôta son feutre et enfin salua Bréval et les gentilshommes, ignorant superbement Mondreville.
â à vous revoir, messieurs !
Puis, tournant le dos, il se dirigea vers l'écurie sous les murmures déçus de l'assistance qui commença à rentrer dans l'auberge.
*
Canto, Pichon et Sociendo demeurèrent dans la cour avec Bréval et Mondreville.
â Messieurs, je vous remercie. Puis-je vous offrir à boire ? interrogea le bourgeois.
â C'est toujours possible, le bon vin ne se refuse jamais ! plaisanta Canto.
â Vous auriez dû me laisser me battre, protesta Mondreville, l'air buté.
â Tu n'avais aucune chance Charles !
â Croyez-vous ? s'enquit le jeune faraud. Je me suis déjà battu !
â Pas avec lui. Richebourg est une fine lame, c'est toute sa fortune. On m'a dit qu'il a déjà tué trois hommes.
â Par qui savez-vous ça ? demanda Mondreville avec agressivité.
â Par ma filleule.
â Je ne supporte pas qu'il lui tourne autour ! cria le jeune homme.
â Ma filleule se nomme Anaïs, expliqua Bréval aux trois hommes. monsieur de Richebourg lui fait la cour et mon ami Charles souhaite l'épouser.
â Et elle, que dit-elle ? plaisanta Pichon.
â Pour l'instant rien, répondit Bréval. Mais entrons plutôt, la nuit va tomber.
*
Ils se retrouvèrent autour de la table, devant leurs chopines de vin. Noël Bréval leur expliqua être négociant en blé et habiter un peu plus loin, sur la route de Mantes. Sociendo se dit marchand de vin et les deux hommes furent vite intarissables sur les transports de marchandises en mer et sur rivière. Sociendo fit croire qu'il possédait plusieurs navires à Bordeaux. Et qu'il était là , avec deux de ses amis, pour attendre plusieurs chariots de tapisseries et de meubles achetés à Bruxelles qu'ils conduiraient ensuite à Bordeaux.
â Malheureusement pour moi, j'ai choisi de transporter des blés, soupira Bréval. En période de disette, lorsque l'humidité empêche les grains de mûrir et que la moisson se révèle mauvaise, l'envolée des prix est telle que les grains n'ont plus le droit d'être transportés au-delà de huit lieues. Depuis le début des troubles, mes bateaux restent à quai. J'ai encore un heu en mer qui ramène des laines d'Angleterre et une allège sur la Seine, mais le commerce est si faible que j'en suis réduit à passer mon temps à jouer aux cartes avec Charles.
Pendant qu'ils parlaient, Mondreville vidait verre sur verre, sans un mot.
â Et si vous nous parliez de cet insolent Richebourg ! lança Pichon. Il va bien falloir que je le
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