La malediction de la galigai
autre personne derrière lui. Une femme âgée, aux traits grossiers, au teint cendré et au corps malingre.
Elle poursuivit :
â Vous connaissez notre maître ! Béni soit le Seigneur qui vous envoie ! Entrez, messeigneurs, entrez ! Nous ne savons que faireâ¦
Sa voix se perdit dans un murmure.
Louis et Bauer la suivirent.
â Notre cocher a mis mon carrosse dans l'écurie.
â Vous avez bien fait, acquiesça le vieillard. Vous devez avoir faim⦠Ma cousine va vous préparer du bouillon.
Ils entrèrent dans une cuisine, apparemment la seule pièce habitable. Louis embrassa la salle d'un long regard. Dans une grande cheminée se consumaient des braises autour de lourds chenets. Près de la hotte, des crochets soutenaient poêles, marmites, jambons, tranches de lard et saucisses sèches. Des cruchons de toutes tailles, en terre vernissée, étaient alignés sur le banc de pierre maçonné le long d'un mur. En face, une couchette pour les domestiques, simple paillasse sur un cadre de bois. Toujours près de la cheminée se trouvaient un rouet et une corbeille de laine. La vieille femme devait filer tant que la lumière était suffisante. à l'autre extrémité trônaient un égouttoir à fromage et un moulin à bras. Aux murs étaient accrochés des outils agricoles, des fourches, des faucilles, une hache, des pièges, des cages et des rouleaux de corde de chanvre. Des poutres pendaient des paniers tressés en paille et en branchettes. Une grosse hotte, à côté d'un balai de joncs, contenait des châtaignes séchées.
La vieille femme saisit un coquemar de fonte et y vida le contenu d'un cruchon de bouillon. Elle ajouta quelques saucisses et coupa un morceau de lard, puis attacha le coquemar à la crémaillère et jeta un fagot sur les cendres du foyer.
â Depuis quand monsieur de Tilly a-t-il disparu ?
â C'était le dernier jour de juillet, monsieur. Il a pris son cheval et nous a dit qu'il rentrerait le soir⦠On ne l'a pas revu. J'crains qu'il y soit arrivé malheuxâ¦
Louis avait déjà observé que les habitants du pays prononçaient les eur en eux .
â Avez-vous interrogé le lieutenant du prévôt des maréchaux ? Â
â Germain y est allé, répondit la femme en tournant la soupe dans le coquemar avec une cuillère de bois. C'est à Mondreville, mais le lieutenant du prévôt lui a dit que notre maître avait dû rentrer à Paris, puisqu'on n'avait signalé aucun mort ou blessé dans le pays.
Fronsac observa le vieillard, comme pour quêter plus d'informations, mais celui-ci avait le regard posé sur le sol, avec une expression de profond abattement.
â Que s'est-il passé ici ? demanda Bauer. L'incendie ?
â Le lendemain du départ de notre maître, durant la nuit, un feu a pris dans le fenil. C'était une baraque construite contre la tourelle.
â La tourelle de la chambre des parents de Gaston ?
â Oui, monsieur. Vous êtes déjà venu ? s'étonna-t-elle.
â Non, mais Gaston m'en a parlé. Nous étions pensionnaires à Clermont. L'incendie tenait à quoi : un orage, la foudre ?
â Non, monsieur. Le tonnerre grondait, c'est vrai, mais il n'y avait pas d'éclairs. Heureusement, la pluie s'est mise à tomber et cette partie de la maison n'a pas brûlé, sinon, on serait dans l'écurie. Avec les bêtes.
â Donc quelqu'un a mis le feu⦠conclut Louis.
Les deux serviteurs ne répondirent pas et Fronsac resta à méditer, écoutant les crépitements du fagot et le bouillonnement de la soupe. Nul doute que l'incendie avait été provoqué à la suite de la visite faite par Gaston. Il avait dû découvrir quelque chose. Peut-être une lettre laissée par son oncle. Ceux qu'il était allé voir l'avaient appris et s'étaient affolés. Cela rendit un espoir à Louis, car si Gaston avait été tué, pourquoi brûler sa demeure ? On avait donc dû le garder vivant, pour l'interroger.
Louis se raccrochait à ce faible espoir quand Nicolas entra à son tour. Il le présenta aux serviteurs.
â Où peut être notre maître, monsieur ? demanda la cuisinière, d'une voix teintée d'inquiétude, tout en
Weitere Kostenlose Bücher