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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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soutenir… Le général Humbert qui leur promet la vie sauve mais ce Hoche qui s’en tient aux lois sanguinaires de la Convention : pas de pitié pour les ennemis de la Révolution, douze balles dans le plastron ! Le plomb qui siffle, les corps qui tombent… « Vive le roi ! »
    748 morts dans les prés salés des faubourgs d’Auray ! Chaumareys en essuie une vraie larme d’émotion. Quiberon c’est son titre de gloire qu’il place bien au-dessus d’un titre de noblesse pourtant moins usurpé. Le vieux vicomte, une main sur le cœur et l’autre sur l’épée, améliore à chaque fois son récit de ce fait d’armes sanglant de la noblesse émigrée. À l’usure, il a même convaincu les autorités militaires de sa participation active à ces combats sans merci. À cette glorieuse boucherie sans rescapés en état de le contredire. À la longue, à force de raconter, Chaumareys a fini par oublier qu’il a vécu le gros de la bataille sous l’édredon d’une épouse de négociant qui l’appelait « mon prince » tandis qu’il lui donnait l’assaut à grands coups de reins. Il est désormais persuadé de sa présence en première ligne. Et gare à celui qui prétendrait en douter ! Son héroïsme est authentifié en toutes lettres de la belle écriture chantournée de Monsieur Dubouchage, ministre de la Marine, et paraphé de la blanche main de Sa Majesté : « Le vicomte de Chaumareys ayant réchappé au massacre de Quiberon est promu de plein droit au grade de capitaine de frégate…» Il aurait préféré capitaine de vaisseau, mais la Couronne est injuste avec ses héros. C’est ce que conclut le vieux capitaine tiré de sa torpeur par une odeur de brûlé.
    *
    Sale réveil : j’ai le visage trempé, du sel dans la barbe. Tout est humide, mon cadre grince et sent le moisi, le roulis est violent. C’est l’humidité qui m’a tiré d’un sommeil lourd au cours duquel je n’ai croisé dans mes rêves ni Gabriele, ni belles Espagnoles mais seulement une tempête et des vents qui apparemment n’étaient pas qu’une vue de l’esprit. Il fait sombre car les sabords sont fermés. L’eau se joue des joints et chaque paquet de mer asperge l’entrepont. Même si mon cadre s’avère inconfortable, j’ai du mal à en quitter l’intimité. Dehors, Corréard est équipé de pied en cap et, sans la moindre mansuétude pour mon état cotonneux, il m’assène la primeur du relevé des récurrentes mesures qu’il a déjà effectuées à l’aide de ses inséparables instruments : « Nous sommes le 30 juin, nous filons à près de 10 nœuds, direction sud-sud-ouest. Le ciel est couvert, la mer est grosse, nous gîtons à tribord, l’eau se réchauffe encore, 17° à 6 heures, L’Écho est toujours dans notre sillage. » La corvette L’Écho nous a rejoints voici trois jours tandis que nous tirions des bords en rade de Ténériffe, mais depuis le cap Finistère nous avons perdu de vue les deux autres vaisseaux du convoi, La Loire et L’Argus , une flûte et un brick dont la marche est très inférieure à la nôtre. Le pont sent le pain brûlé et cette odeur qui provient d’une manche à air me sort de ma torpeur contrariée. Sans hésiter je plante là Corréard et enfile en chaloupant au rythme du tangage la coursive puis les marches escarpées qui descendent au fournil. À mesure que j’approche, l’odeur du pain se mélange à celle de la fumée. Il doit faire près de 50°. La porte du four est ouverte et le boulanger, qui me connaît car je l’ai soigné d’une mauvaise brûlure peu après notre départ, s’éponge le front avec son tablier. « Nous avons failli griller comme en enfer. Ce vent du diable a fait surchauffer le bois, la fournée est foutue, mais tiens, si tu grattes un peu la croûte, celle-ci est mangeable ! » Il me tend une miche noircie qu’il rompt. La mie est blanche et fumante, sa chaleur me redonne goût à la vie. Corréard qui nous a rejoints me ramène, lui, aux réalités du jour : « Tu n’as pas oublié que c’était le franchissement de la ligne et qu’il y avait des festivités dans l’air ? Au lieu de t’empiffrer avec ton pain carbonisé, tu ferais mieux de remonter voir ce qui se passe sur le pont ! » Nous franchissons aujourd’hui, paraît-il, le tropique du Cancer et il est de tradition que l’équipage salue joyeusement l’événement, ce qui met Corréard en grand état d’excitation. « Il ne faut pas rater

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