La malédiction des templiers
éliminé tous leurs concurrents, éradiqué leurs croyances et leurs pratiques, après quoi ils ont totalement réécrit l’histoire de cette bagarre fratricide. Ce que je veux dire, c’est qu’ils ont décrété ce qui devait être considéré comme l’authentique écriture sacrée, la seule, la vraie, au détriment de toutes les autres. Ils ont fait un super boulot : il ne reste presque rien des textes qui ne leur plaisaient pas. La seule raison qui fait que nous savons que ceux-ci ont existé, c’est qu’ils sont parfois mentionnés par les premiers scribes de l’Eglise ; et encore : les rares copies que nous avons de ces versions concurrentes sont dues à des coups de chance extraordinaires comme la découverte de cette cache d’évangiles gnostiques à Nag Hammadi, dans les années 1940.
— Jusqu’à maintenant, remarqua Reilly.
— Exactement. Essaie d’imaginer une seconde ce qui se serait passé si l’un des autres groupes de chrétiens avait gagné. On pourrait très bien se retrouver avec une tout autre religion, une religion qui n’aurait que très peu de points communs avec ce que nous appelons le christianisme. Et cela, bien sûr, si celle-ci avait réussi à tenir le coup jusqu’à nos jours. Car il est possible, et même probable, que si le christianisme n’avait pas pris la forme qu’on lui connaît, c’est-à-dire une histoire surnaturelle de mort et de résurrection, de salut éternel, bidouillant des éléments provenant de toutes les religions existantes de l’Empire en un nouveau package taille unique – Mithra, Sol Invictus, une naissance sans péché, une résurrection trois jours après la mort, le vingt-cinq décembre et j’en passe –, et si on ne l’avait pas laissé croître de façon très organisée, puis devenir la religion officielle de l’Empire romain… Constantin aurait très bien pu ne pas l’embrasser. Il aurait très bien pu échouer à convaincre ses sujets païens de l’adopter, et notre monde serait alors très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Sans le christianisme comme soubassement, la civilisation occidentale se serait développée dans des directions dont ni toi ni moi n’avons pas la plus petite idée. Et tout cela à cause des textes sacrés sur lesquels les fondateurs de l’Eglise ont décidé de l’édifier . Parce que, en fin de compte, c’est bien à cela qu’on en revient dans toute religion, non ? Aux écritures. Aux textes sacrés. Une histoire, une fable, un récit mythique que quelqu’un a couché sur le papier il y a un sacré bout de temps.
« Mais ces christianismes primitifs étaient très, très divers. Et leurs évangiles, leurs textes, décrivaient une série de croyances et d’événements très différents de ceux du Nouveau Testament. Certains présentaient Jésus comme une sorte de prêcheur bouddhiste dont les secrets ne pourraient être révélés qu’à quelques rares initiés choisis entre mille, d’autres comme un leader révolutionnaire qui libérerait les pauvres gens des oppresseurs romains. Bref, tous ont des vues très différentes sur l’ensemble du débat humain/divin autour de Jésus et sur les moyens d’atteindre le salut. Les partisans de ces évangiles non canoniques te diront qu’ils précèdent chronologiquement les quatre qui sont dans la Bible. Ils affirment, et à l’appui d’ailleurs d’un bon nombre de témoignages, que les quatre évangiles du canon ont subi d’importantes modifications et ont été manipulés pour permettre la mise sur pied d’une Eglise organisée au nom de Jésus, et pour justifier la création de toute une hiérarchie se voyant attribuer tout pouvoir sur ses fidèles au titre d’héritière légitime des apôtres et, plus important encore, de fournisseur exclusif du salut éternel. C’est ce qu’ils ont réussi à obtenir. L’exclusivité. Il ne faut surtout pas oublier que, avant l’avènement du christianisme, il régnait une grande tolérance, et le concept d’hérésie ainsi que celui consistant à croire dans “le vrai dieu” – l’orthodoxie – n’existaient pas. C’est seulement avec le christianisme que ce que croyait telle ou telle personne a commencé à prendre de l’importance, une très grande importance, car soudain c’était de cela que dépendait sa vie éternelle.
« Les puristes et les défenseurs à tout crin de la Bible te diront au contraire que tout ce qui ne se conforme pas aux quatre évangiles du canon
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