La malédiction des templiers
taverne. Il avait fait la connaissance de Kacem et de son père peu de temps après être arrivé en ville, il y avait de cela un peu plus d’un an. Il avait immédiatement éprouvé une forte antipathie pour Kacem, un jeune homme musculeux d’une vingtaine d’années, renfermé, aux yeux dépourvus de toute chaleur. Son père, Mehmet, était fort différent : replet, joufflu, c’était un petit homme tout en rondeur, au front large, aux yeux globuleux et au cou épais. Par ailleurs commerçant émérite, de ceux capables de vous vendre quelque chose puis de vous le racheter à moitié prix en vous donnant l’impression qu’il vous rend un service.
Il avait en outre accès au matériel dont Conrad avait besoin pour mener à bien ses « affaires », et avait le mérite de ne jamais poser trop de questions.
— Mon père possède quelque chose qui, d’après lui, pourrait vous intéresser, lui dit le jeune homme.
— Je vais chercher mon cheval, répondit aussitôt Conrad, sans se douter que la petite phrase anodine de Kacem allait bouleverser son existence de fond en comble.
Il reconnut aussitôt les épées à double tranchant.
Il y en avait six en tout, chacune dans son fourreau de cuir, étalées sur une table en bois de la petite échoppe de Mehmet. A côté, d’autres armes (quatre arbalètes, deux douzaines d’arcs droits composites en corne, un assortiment de dagues et de couteaux) ne faisaient que conforter Conrad dans son sinistre pressentiment.
Car ces armes lui étaient on ne peut plus familières.
Les épées l’intéressaient tout particulièrement. Toutes modestes fussent-elles d’apparence, c’étaient de formidables outils de guerre. Façonnées par des experts, parfaitement équilibrées, dépourvues des ornements un peu trop voyants que l’on trouvait fréquemment sur les pommeaux et poignées des armes de la noblesse, elles étaient d’une efficacité redoutable. L’épée du Templier n’était pas un objet destiné à faire étalage de sa richesse, ça ne pouvait d’ailleurs pas l’être, les chevaliers-guerriers ayant fait vœu de pauvreté. C’était une arme de guerre, purement et simplement. Une poignée cruciforme confortable couronnant une lame ornée de motifs, destinée à tailler dans la chair et à trancher les os de n’importe quel ennemi, ainsi qu’à transpercer la plus solide des cottes de mailles.
Ces armes avaient cependant un trait distinctif, à peine visible mais néanmoins toujours présent : les initiales de leur propriétaire, de chaque côté d’une petite croix évasée – la fameuse croix pattée adoptée par l’Ordre –, le tout gravé sur la section supérieure de la lame, juste au-dessous de la garde.
Des initiales que Conrad avait tout de suite reconnues.
Une avalanche d’images et de sentiments le submergea.
— Où avez-vous trouvé ça ?
Mehmet le fixa avec une curiosité non dissimulée, puis son visage poupin se détendit et ses lèvres s’ouvrirent sur un sourire.
— Donc ma petite collection vous plaît.
Conrad essaya bien de dissimuler son malaise, mais il savait que le Turc ne s’y laisserait pas prendre aisément.
— J’achèterai le tout au prix que vous demanderez, mais j’ai besoin de savoir où vous avez trouvé ces armes.
Le négociant le dévisagea avec une attention encore plus soutenue.
— Pourquoi ? demanda-t-il enfin.
— Cela me regarde. Vous voulez me les vendre, oui ou non ?
Le commerçant pinça les lèvres, se frotta le menton de ses doigts boudinés, puis décida de répondre.
— Je les ai achetées à un groupe de moines. Nous les avons rencontrés dans un caravansérail il y a trois semaines de ça.
— Où ?
— A l’est d’ici, à une semaine de cheval environ.
— Où ? insista Conrad.
— En Cappadoce. Près de la ville de Venessa, précisa le négociant de mauvais gré.
Conrad hocha la tête, plongé dans ses pensées, envisageant déjà le proche avenir. Avec ses deux compagnons templiers, en route pour Constantinople, ils avaient traversé cette région au paysage irréel, veillant à contourner ses nombreux caravansérails, ces énormes comptoirs commerciaux éparpillés le long de la Route de la Soie, mis en place par les sultans et dignitaires seldjoukides afin d’attirer et de protéger les négociants dont les caravanes de chameaux reliaient l’Europe à la Perse et, au-delà, à la Chine.
— C’est là que se trouve leur
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