La malédiction des templiers
monastère ?
— Non. Tout ce qu’ils m’ont dit, c’est qu’il était caché quelque part dans les montagnes, répondit le Turc. Ils essayaient de se procurer un peu de nourriture, en vendant les quelques biens qu’ils possédaient. La sécheresse qu’ils avaient subie avait anéanti tout ce que le gel des mois d’hiver avait épargné, dit-il en étouffant un petit rire. De toute façon, quelle importance ? Vous ne pensez tout de même pas vous rendre là-bas ?
— Et pourquoi pas ?
— C’est une contrée dangereuse, surtout pour un Franc. Pour y parvenir, il vous faudrait traverser une demi-douzaine de beylicats différents en courant le risque de tomber au passage sur dix fois plus de bandes de ghazis.
Conrad savait qu’il disait vrai. Depuis la chute du sultanat seldjoukide de Roum, toute la région à l’est de Constantinople s’était disloquée, donnant naissance à une mosaïque de beylicats indépendants, minuscules émirats gouvernés par des beys. Les armées de ces potentats au petit pied étaient constituées pour l’essentiel de mercenaires ghazis, gardiens de la foi recherchant avec ardeur soit la victoire, soit le « miel du martyre », pour reprendre leur expression, sans qu’ils expriment une préférence pour l’une ou l’autre. Guerriers farouches, ils contrôlaient leurs territoires avec une poigne de fer. Conrad et ses frères templiers avaient eu quelque mal à traverser ces contrées sans se faire remarquer, mais cette fois cela n’aurait rien à voir : il lui faudrait avancer à visage découvert, en posant des questions à droite et à gauche pour essayer de dénicher un monastère dont, à l’évidence, les occupants ne souhaitaient pas être découverts.
— D’un autre côté, nous aurions beaucoup moins de mal que vous à franchir ces obstacles, glissa le commerçant en s’adossant au siège de sa chaise, son sourire rusé multipliant les plis de son menton. On pourrait tout à fait envisager de vous déguiser et de vous emmener avec nous en vous faisant passer pour l’un des nôtres.
Conrad fixa longuement le madré négociant : l’homme avait à l’évidence flairé quelque chose qui valait son pesant d’or.
Il s’occuperait de cela le moment venu. Sa priorité était ailleurs.
— Combien ? demanda-t-il.
— Tout dépend de ce que vous recherchez, répondit le Turc.
— Une petite conversation.
Ce n’était pas la réponse qu’escomptait le commerçant. Mais Conrad n’imaginait pas qu’il ait pu s’attendre à ce qu’on lui dise la vérité.
L’homme haussa les épaules.
— En ce cas, je vous demande le double pour ces magnifiques objets, dit-il en montrant de sa main potelée les épées, les couteaux et les arcs disposés sur la table.
Pour reprendre les termes de l’évêque français, c’était là un prix tout à fait exorbitant. Mais les fausses reliques permettraient de l’acquitter, et bien au-delà.
Et puis, c’était pour une noble cause.
La plus noble de toutes.
— Très bien. Je vous ferai connaître ma décision pour la suite, dit Conrad.
Mehmet le gratifia d’un sourire satisfait et d’une petite courbette théâtrale.
— A votre service, mon ami.
Les deux hommes fourrèrent les armes blanches dans un sac de jute, que le Franc accrocha au pommeau de sa selle. Il venait de quitter l’échoppe au petit trot quand il l’aperçut.
La sœur de Kacem, Maysoun. Qui se dirigeait vers la boutique de son père.
Cette vision le plongea aussitôt dans un trouble profond.
Après avoir vécu des années dans un strict célibat derrière les murailles des forteresses templières en Terre sainte, il n’avait au bout du compte pas eu trop de mal à se faire à la compagnie des femmes maintenant qu’il vivait au milieu d’elles. Mais Maysoun avait quelque chose qui lui faisait battre le cœur. Certes, cette jeune fille était à tous égards singulièrement attirante : âgée d’une vingtaine d’années, gracieuse, élancée, avec des yeux turquoise à l’éclat incomparable, une peau couleur de miel et des courbes à damner un saint que dissimulait à grand-peine son ample vêtement de couleur sombre, elle attirait irrésistiblement les regards.
Elle avançait dans sa direction d’un pas léger et il tira sur ses rênes, ralentissant sa monture sans toutefois l’arrêter tout à fait, essayant de faire durer ce moment le plus longtemps possible. Leurs regards se croisèrent. Ce n’était pas
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