La malédiction des templiers
ses ambitions. En premier lieu, l’argent se faisait rare. L’Empire byzantin n’avait plus guère d’empire que le nom : sa superficie n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait été jadis, ne représentant de fait guère plus que celle d’un Etat grec de peu d’importance, ce qui impliquait que ses souverains ne recevaient plus qu’une fraction des impôts et taxes douanières qui remplissaient les coffres de leurs prédécesseurs. Pis encore, ses marches orientales étaient soumises à de constantes attaques : des bandes de nomades turcs ne cessaient de grignoter un empire fracturé et diminué. Fuyant les provinces soumises à ces pressions et escarmouches incessantes, des masses de réfugiés, sans le sou et désespérés, envahissaient désormais la cité, survivant dans la crasse et la misère la plus absolue dans des abris de fortune regroupés dans de véritables villes bâties sur des champs d’ordures, grevant encore davantage une économie très mal en point. Un hiver particulièrement rude n’avait fait qu’empirer les choses, une période de gel tardif ayant anéanti de vastes champs de céréales, aggravant du même coup la pénurie de vivres.
Ce chaos, cette agitation n’avaient pas affecté Conrad. Bien au contraire, l’anonymat que pouvait offrir une cité en pleine tourmente lui avait été bénéfique. On pouvait se faire pas mal d’argent à condition de savoir où le trouver. A savoir dans les poches des clercs ayant quitté leurs opulentes églises et cathédrales d’Occident pour venir visiter la ville, et prêts à avaler à peu près n’importe quoi.
Car si, un siècle plus tôt, Constantinople avait été dépouillée d’à peu près tout ce qui avait quelque valeur, elle n’en demeurait pas moins une véritable caverne d’Ali Baba pour ce qui touchait aux saintes reliques. D’après les bruits qui couraient, des centaines étaient disséminées à travers la cité, cachées dans ses innombrables églises et monastères, n’attendant que d’être chapardées et bradées. Ces restes étaient d’une très grande valeur aux yeux des prêtres d’Europe occidentale : si loin de la Terre sainte, une cathédrale, une église, un prieuré voyaient leur statut, et donc les dons dont ils bénéficiaient, fortement revu à la hausse lorsqu’ils étaient en mesure d’exposer à leurs ouailles une relique de quelque importance originaire de ces lointains rivages. Les fidèles n’étaient dès lors plus contraints d’entreprendre des pèlerinages aussi longs que dispendieux, de traverser terres et mers pour avoir une chance de voir, peut-être même de toucher, l’os d’un martyr ou un copeau de la Vraie Croix. Ce qui expliquait pourquoi de si nombreux clercs se rendaient à Constantinople, en quête d’un trophée à rapporter chez eux afin d’en faire bénéficier leur église. Certains payaient bien, d’autres recouraient à toutes sortes de manigances, tous faisaient ce qu’il fallait pour s’assurer leur prise de guerre.
Et Conrad était là pour les y aider.
Même si, la plupart du temps, la prise en question n’avait pas la valeur qui lui était attribuée. Conrad n’ignorait pas que, comme pour les jeux de tripots, tout était affaire de présentation. Il suffisait d’investir dans un bon emballage, de mettre au point une histoire crédible, et les acheteurs faisaient la queue pour se porter acquéreurs d’une écharde de la Couronne d’épines ou d’un fragment de la robe de la Vierge Marie.
— Encore un client satisfait ? s’enquit le tavernier qui tenait à la main un pichet de bière fraîche.
— En existerait-il d’autres ?
— Sois béni, mon fils, fit l’aubergiste avec un petit rire.
Il posa le pichet sur la table et indiqua l’arrière-salle d’un signe de la tête.
— Quelqu’un t’attend là, derrière. Un Turc, un certain Kacem. Tu sais qui il est, à ce qu’il dit.
Conrad se versa une rasade de bière, qu’il avala d’un trait, avant de reposer son gobelet et de s’essuyer la bouche d’un revers de main.
— Là, derrière ? Maintenant ?
Le tenancier fit oui de la tête.
Conrad haussa les épaules, puis poussa vers lui le reliquaire.
— Tu peux me garder ça en attendant, s’il te plaît ?
Sans même attendre la réponse, il traversa l’arrière-salle et trouva l’homme qui l’attendait près d’un empilement de tonneaux vides, à l’extérieur, juste devant la porte à l’arrière de la
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