La malédiction des templiers

les éviter comme il le pouvait mais eut bien du mal à ne pas reculer sous la pression. De précieuses secondes s’écoulèrent tandis que des corps venaient indistinctement le heurter avant de poursuivre leur course haletante, laps de temps durant lequel il entendit une autre détonation, puis plusieurs, chacune d’elles l’incitant à poursuivre sa progression.
    Il tenait son arme à hauteur de visage, se servant de sa main libre pour se frayer un passage au milieu de cette frénésie, faisant de grands signes en criant « Baissez-vous ! » tout en essayant d’aller de l’avant, jusqu’à ce qu’il entende le hurlement d’un moteur trop sollicité, le crissement strident de pneus torturés, tandis que les derniers fuyards lui permettaient à peine d’entrevoir la fourgonnette dévalant la rue.
    Reilly courut le plus vite qu’il pouvait avant de s’arrêter d’un bloc, de lever son arme, de viser et de tirer un coup de feu, puis un deuxième, un troisième encore, mais en vain : il se trouvait beaucoup trop loin, et la fourgonnette disparaissait déjà. Il fit aussitôt demi-tour, son instinct procédant en un éclair à une estimation de la situation. Il enregistra les gros panaches de fumée noire sortant de la fenêtre située à un étage de l’un des bâtiments du complexe, les prêtres affolés évacuant le Patriarcat en toute hâte, Ertugrul et les policiers turcs courant vers lui, l’homme abattu étendu sur la chaussée, un autre immobile devant un taxi, pétrifié de peur, le véhicule gîtant tel un voilier sous le vent, bloquant la file de voitures derrière lui et donnant l’impression qu’il n’était pas prêt à aller où que ce soit, avant longtemps en tout cas.
    Autrement dit, il ne lui restait plus qu’une option.
    Courir, le plus vite possible, en escomptant un miracle.
    Telle une flèche, il se rua à la poursuite de la fourgonnette qui disparaissait maintenant à un tournant, un peu en contrebas. Il respirait fort, les paumes de ses mains coupant l’air brûlant, ses épaules l’entraînant vers l’avant, les semelles de ses chaussures heurtant rudement l’asphalte en un staccato de plus en plus précipité. Il avait sans doute couvert un peu plus que l’espace d’une vingtaine de voitures lorsqu’il repéra le miracle qu’il attendait : une femme entre deux âges s’apprêtant à monter dans sa voiture, une petite Polo bordeaux.
    Pas de temps pour de longues explications.
    En quelques secondes, Reilly avait successivement lâché trois mots d’excuse, arraché les clefs des mains de l’automobiliste, pris place au volant et quitté la place de stationnement dans un hurlement de pneus, à la poursuite de sa proie, tandis que la femme, indignée, poussait des cris d’orfraie, qui se perdirent rapidement dans le lointain.

20
    Mansour Zahed fixait avec une extrême concentration le chemin qu’il suivait au volant de la fourgonnette. Istanbul lui était plutôt familière, une ville où il s’était rendu de nombreuses fois à l’occasion de diverses missions. Mais le plan de ses rues ne l’était pas, lui, et il ne connaissait en tout cas pas assez bien les ruelles étroites du quartier du Phanar pour savoir où il allait. Mais il se moquait bien de savoir où il aboutirait. Il avait trouvé ce qu’il cherchait dans la Bibliothèque du Patriarcat. Tout ce dont il avait besoin désormais, c’était de laisser une bonne marge de sécurité entre lui et le complexe orthodoxe tout en s’assurant qu’il n’avait pas été suivi, et se débarrasser de la fourgonnette avant de sauter dans un taxi pour rejoindre Steyl et leur captif, l’archéologue américain.
    Parvenu à une intersection, il tourna à droite, prenant la direction du bord de mer et de l’autoroute à quatre voies qui serpentait le long de la rive sud de la Corne d’Or. S’il réussissait à l’atteindre, il pourrait se considérer comme sauvé : c’était une grande artère qui lui permettrait d’accélérer et de distancer ainsi Reilly et sa bande. Il ne devait plus en être bien loin, pensa-t-il, sentant la tension dans son corps commencer à se dissiper. Quelques rues encore à franchir et…
    Le crissement de pneus d’un véhicule tournant à toute allure à un coin de rue mit brutalement un terme à cet instant de répit.
    Il regarda dans le rétroviseur : une petite voiture trois portes venait d’apparaître derrière lui, gagnant rapidement du terrain.
    Ce qu’il entrevit