La Marque du Temple
que je suis libre de vivre en concubinage et de disposer de mon corps pour aimer charnellement qui me plaît. Il n’y a point péché si nous éprouvons commun plaisir et folle jouissance par-devant le Dieu du Bien. »
J’en restai coi. Je n’avais jamais entendu parler de cette forme d’hérésie. Mais si la châtelaine disait vrai, aucun autre obstacle que ceux qu’elle dresserait ne s’opposerait au bon déroulement de mon enquête. Une enquête qui basculait vers la quête d’un fabuleux trésor. Ou d’une nouvelle chimère ?
J’avoue que la tentation germait dans mon chef de m’en emparer. De m’inscrire sur le registre des prétendants. Pour moi, un simple et pauvre écuyer, orphelin de père et de mère, cela ne me permettrait-il pas d’accomplir la belle et grande mission d’un chevalier, de défendre les veuves et les orphelins, d’armer et de solder des gens d’armes, d’acquérir fiefs et bénéfices ? De marier richement Isabeau de Guirande, ma petite fée aux alumelles ? Et de lui assurer belle et grande maison, bons serviteurs et grasses servantes ? Bonne protection et puissantes amitiés ?
D’autant que j’avais découvert le sens réel d’un des arcanes essentiels qui devaient normalement me conduire sur les voies de la fortune, disposant ainsi d’un atout exceptionnel et d’une belle longueur d’avance sur d’éventuels concurrents.
Malheureusement, le travail acharné auquel je m’étais livré au cours des dernières semaines, tel un moine convers, resterait vain si je ne parvenais à m’allier la dame de Guirande et sa nièce Isabeau, dont j’étais persuadé qu’elles détenaient encore, l’une et l’autre, des informations capitales que je devais recouper et confronter à mes propres conclusions.
Mes buts étaient-ils aussi nobles que je le prétendais ? Ou bien étais-je poussé par l’appât du gain, prêt à plonger dans le vice ou l’apostasie pour m’approprier le veau d’or ? Il est vrai que je n’étais point soumis à la règle de saint Benoît, de saint Dominique ou de quelque Ordre que ce soit, et n’avais fait vœu ni de chasteté ni de pauvreté.
Après un long moment d’hésitation, je décidai de passer un pacte avec Éléonore de Guirande. Le pacte du Bien. Avant de faire la connaissance de sa nièce, Isabeau, réfugiée en quelque abbaye ou monastère de la comté.
Je pris ma décision sans mesurer pour autant toutes les conséquences de mon acte. D’un acte d’une extrême gravité. Pour lequel je pourrais bien basculer dans l’univers du Mal. Et me voir reprocher une alliance avec une hérétique.
J’avançai la main à dextre pour effleurer ses doigts. Elle ne réagit pas à mon contact, mais soutint mon regard, croyant peut-être que j’avais changé d’avis et étais disposé à commettre le péché de chair. De ma main dextre, je posai sur la table de travail l’ouvrage à ais de bois et à la croix cléchée.
« Dame Éléonore, m’amie, je puis vous annoncer que j’ai résolu une grande partie de l’énigme qui figure sur le parchemin que j’ai découvert, plié et inséré dans l’épaisseur de la reliure de ce codex. Aussi, plutôt que de disputer de nouvelles parties d’échecs – vous savez que je les gagnerais –, je vous propose une alliance. Un pacte, en quelque sorte. »
Non seulement, elle ne se raidit pas, mais elle ouvrit les doigts pour les entrelacer avec les miens. Ses yeux dorés me scrutèrent fixement, s’adoucirent et elle murmura :
« Dois-je acheter votre silence sur mon obéissance aux règles de la confrérie des Frères et des Sœurs du Libre Esprit, messire Bertrand ? Or donc, quelle contrepartie attendez-vous ?
— Une aide précieuse pour m’aider à découvrir l’emplacement du trésor des héréti… des Croyants, dis-je après un instant d’hésitation sur le choix du terme à employer.
— Je croyais que vous aviez réussi à percer les secrets de cette énigme, me dit-elle en pointant son index sur la couverture du codex.
— En grande partie, certes, mais certains points me paraissent encore obscurs.
— Tiens donc ! Seriez-vous moins savant que je le pensais ou plus présomptueux ?
— Cessons de finasser, Éléonore. J’ai percé l’énigme, mais ne peux poursuivre cette quête sans votre aide, j’en conviens. Alors acceptez-vous ma proposition, oui ou non ?
— Pensez-vous vraiment que dans l’état de réclusion où je suis tenue, je
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