La Marque du Temple
pour le moins. Car je doute d’avoir sa mansuétude », osai-je renchérir.
Si je laissais planer sur sa tête la menace d’une délation auprès du juge-procureur du tribunal de Sarlat, c’était dans l’espoir de lui extorquer plus aisément les dernières informations qui me faisaient défaut.
Il me restait en effet à situer le fabuleux trésor des hérétiques albigeois probablement confié à la garde de l’Ordre du Temple, un siècle plus tôt, jusqu’à la dissolution d’icelui.
« Vous faîtes grande erreur, messire Brachet, ce que vous prenez pour de la mansuétude de la part de mon mari n’est que le résultat d’une sordide machination. Je n’ai, en outre, jamais manifesté ma foi ni prêché ce que vous qualifiez d’hérésie albigeoise. Je suis seulement une Bonne chrétienne.
— La rumeur court cependant en cette place que vous auriez des sympathies pour l’hérésie. Vous en doutiez-vous ?
— Non, je l’ignorais. Mon isolement, ma réclusion, le leur laisseraient-il accroire ? Pensez-vous que d’aucuns me dénonceraient ? Ils n’ont point de preuves », me répondit-elle. Mais le doute se lisait dans son regard. Je profitai de son désarroi, avant qu’elle ne se ressaisisse :
« Vous savez parfaitement que la simple délation d’un familier peut déclencher la procédure inquisitoriale. Les preuves, les tourmenteurs les obtiendraient par vos aveux. Des aveux arrachés sous la torture. Mais rassurez-vous, j’ai étouffé leur suspicion dans l’œuf. Tout au moins, je l’espère. Sur l’heure, il ne dépendra que de votre bonne volonté à répondre à mes questions pour que je m’accoise et ne vous livre pas.
« Or donc, plutôt que de tenter de m’attendrir sur le sort qui pourrait vous être réservé, expliquez-moi plutôt comment le baron a pu surprendre vos convictions ? Aurait-il découvert ce codex accablant ? Auriez-vous avoué ? Serait-il lui-même hérétique ? Et me m’embufez pas, je vous prie ! Le temps en est révolu, à la parfin !
— Parlez-moi sur un autre ton, je vous prie, messire de Born ! Par les cornes du diable, nous ne siégeons pas au tribunal !
— Je vous écoute, baronne.
— Le baron Fulbert ne connaît pas l’existence du codex dont vous vous êtes emparé par la force. Dans ma propre chambre !
— Abrégeons, ma Dame, abrégeons les préliminaires, si vous le voulez bien. Venez-en aux faits.
— Un soir, il m’a entendu réciter le Notre-Père des Croyants, notre prière sacrée. Aucun parchemin, aucun codex ne la mentionne ; nous nous la transmettons par tradition orale, de génération en génération, entre Bons chrétiens.
« Mon époux avait sournoisement épié mes paroles. J’eus alors le grand tort de la réciter à voix haute, ce soir-là. Il rentra dans une colère terrible : si l’on venait à apprendre qu’il hébergeait une hérétique et qu’il l’avait mariée, il redoutait moins la sentence d’excommunication que l’interdit qui l’aurait accompagné.
« Les vilains, paysans et manants de sa baronnie seraient privés de tout sacrement en ses domaines, jusqu’à résipiscence. Il encourrait lui-même la commise de ses châteaux, de ses terres, et des bénéfices à iceux attachés, au profit du comte de Pierregord ou de l’abbé de Sarlat. »
Éléonore de Guirande s’était enflammée derechef. Elle s’apazima cependant pour insinuer d’une voix où perçait l’ironie :
« Saisissez-vous les conséquences qui en résulteraient pour votre tuteur, votre bienfaiteur, si vous veniez à dénoncer son épouse, messire ? Auriez-vous aussi petite reconnaissance envers lui ? Vous en seriez la première victime. Je crois savoir son intention de vous fieffer grassement un jour prochain… »
La perfide dame de Guirande avait repris le contrôle de la situation. Elle pressentait qu’en principe je ne tenterai, onques de ma vie, la moindre félonie à l’égard du baron. Alors, s’il était vrai qu’il envisageait de me fieffer… On ne scie point la branche sur laquelle on est assis, avais-je affirmé un certain soir en parlant des Juifs.
Il était tout aussi vrai que le baron Pons de Beynac devait garder souvenir cuisant de la chevauchée que Simon de Montfort avait dirigé cent cinquante ans plus tôt, en terre du Pierregord et du Quercy. Le codex d’Éléonore de Guirande mentionnait en effet qu’un des aïeux du baron de Beynac, en l’an 1214, était
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