La Marque du Temple
circonstances de notre chute, dont elle m’attribuait abusivement la responsabilité.
« Je pensais tout haut, dame Éléonore. Je réfléchissais à haute voix », répondis-je. Sa façon de narrer les faits me laissait songeur : quelle crédibilité pouvais-je accorder à ses propos ?
Je ne souhaitais plus me laisser entraîner à rebelute sur un terrain où la diabolique baronne m’avait déjà prouvé sa belle adresse. Je tentai de reprendre l’initiative de la conversation sous un autre angle :
« Tantôt, vous avez qualifié la mansuétude du baron à votre égard de “sordide machination”. Voulez-vous laisser entendre, par là, que messire Pons de Beynac convoiterait le fabuleux trésor des hérétiques albigeois ? Géré et gardé par les Templiers jusqu’à leur arrestation et la dissolution de leur Ordre ? Et mis en lieu sûr et en grand secret depuis lors ? Si ce n’est de vous, comment pourrait-il être instruit de son existence ?
— Il n’est point le seul, messire Bertrand », dit-elle en levant vers moi son beau visage qui ne masquait pas une grande lassitude. Je crus cette grande dame soumise. J’eus tort, une nouvelle fois. Elle conservait d’incroyables facultés de résistance à l’épreuve. Je repris mon interrogatoire :
« Feriez-vous allusion à quelques descendants d’aucuns qui furent impliqués dans la tragédie albigeoise ? Des personnes qui auraient ouï dire, par exemple, que ce trésor existait, que leurs aïeux fussent du côté des croisés de la ligue de paix ou du côté des croyants en l’hérésie ?
— Nombreux sont ceux qui sont prêts à commettre les pires félonies pour s’en emparer. À commencer par le roi de France. Philippe le Bel, quatrième du nom, fit mainmise sur une grande partie des biens qui appartenaient en propre à l’Ordre du Temple lors de sa dissolution. Deux jours après leur avoir retiré la garde du trésor royal que ses ancêtres leur avaient confié en leur hôtel de la Cité à Paris, Tour du Temple.
« Ignorez-vous que le roi de France saisit une partie de leurs biens et que leurs commanderies furent dévolues à l’Ordre des chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ? N’y verriez-vous point là étrange coïncidence ? La partie la plus considérable, celle qui ne fut trouvée ni dans la tour du Temple ni en leurs commanderies, a été cachée quelque part. Dieu seul sait où.
« Les chevaliers templiers ont été soumis aux pires tourments avant d’être bannis ou brûlés vifs. Leur grand maître, Jacques de Molay et Geoffroi de Chamay, le précepteur de Normandie, étaient les derniers détenteurs du secret.
« Je puis vous assurer qu’ils n’ont onques révélé son emplacement durant les sept années que dura l’instruction de leur procès. Lorsqu’ils furent conduits sur le bûcher pour y être brûlés vifs, à l’instant de leur comparution devant Dieu, ils refusèrent le sacrement de la confession.
« Comme les Bons chrétiens. Cela ne vous dit-il rien, messire Bertrand ? Peu nous challent les flammes du bûcher. Elles brouillissent notre chair mais ne brûlent pas notre âme. Nous savons qu’icelle montera alors siéger à la droite du Dieu Bon pour l’éternité.
— Au fond, les frères du Temple et les hérétiques albigeois avaient la même politique en matière de finance : ils mettaient tous leurs biens en commun.
— Je vous rendrais grâce de ne plus parler d’hérésie albigeoise en ma présence, messire Bertrand. Mais des Croyants ou des Bons chrétiens. Et sachez, pour l’instruction de votre enquête, que je ne suis point ce que vous croyez : j’adhère à la confrérie des Frères et Sœurs du Libre Esprit. Notre confrérie en est très proche, il est vrai.
« Comme les Albigeois, nous récusons les sacrements imaginés par votre Église pour engraisser les prélats et extorquer des aveux sous prétexte du secret de la confession. Un secret n’est-il pas fait pour n’être répété qu’à une seule personne à la fois, comme le prétend le fameux dicton ?
« Oui, messire Bertrand, nous partageons avec nos frères et nos sœurs albigeois la croyance en un Dieu Bon et en un Dieu Mauvais, celui du Bien et celui du Mal. Mais à la différence d’iceux, nous proclamons la liberté complète de la chair et de l’esprit. Car nous considérons qu’un homme ou une femme unis à Dieu ne peuvent commettre le péché.
« Vous comprendrez ainsi
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