La Marque du Temple
puisse vous apporter quelque soutien matériel ?
— Je n’attends point de vous tel soutien ; j’attends un pacte d’honnête connivence, fondé sur l’intelligence et la connaissance de faits ou d’événements dont les recoupements nous échappent encore à l’un et à l’autre. Je sais que vous ne m’avez pas tout dit. Tant s’en faut. Et pour commencer, vous n’avez pas répondu à ma question : acceptez-vous ma proposition ? Mon pacte ?
— Le pacte du Bien ou le pacte du Mal ? Vous ne m’en avez pas précisé les termes. M’assurez-vous l’impunité ? Ne trahirez-vous jamais ma foi ? Serez-vous prêt à mettre votre esprit de chevalerie – si vous y croyez encore –, à défendre mon corps et mon esprit du travail des tourmenteurs de l’inquisition ?
— Vous avez ma parole de gentilhomme. Je m’y tiendrai, ma vie durant. N’est-ce point là un gage considérable que je vous livre, sans savoir au fond si vos connaissances en valent le prix ?
— J’accepte de vous apporter assistance et secours, mon doux sire. À deux conditions toutefois : la première est que vous m’instruisiez de toutes vos connaissances en cette affaire et la seconde, que m’administriez le milhoirer comme le disent les Inquisiteurs en langue d’oc, le melioramentum.
— Vous connaîtrez le secret de mes découvertes. En revanche, je ne puis vous administrer autre chose que de l’eau bénite par le chapelain, rétorquai-je avec irritation.
— Vous vous moquez outrageusement, messire. Vous n’êtes point niquedouille. Je sais qu’une lecture attentive du codex vous a parfaitement initié au rite du melioramentum. Je tiens à le recevoir de votre main. Si vous l’acceptez, vous serez plus profondément lié à moi. Sinon, je refuse tout à trac votre pacte. Quitte à être dénoncée pour ma foi. À vous de choisir. C’est à prendre ou à laisser », déclara-t-elle d’un ton péremptoire.
J’eus une sorte de vertigine. Ce qu’elle me demandait frôlait l’apostasie : lui administrer le melioramentum ! Seul un Parfait, un dignitaire hérétique albigeois, pouvait l’administrer. Je n’étais ni prêtre ni hérétique. Ne serais-je pas accusé moi-même d’hérésie si j’acceptais de subir le nouveau caprice de cette femme manipulatrice ?
L’heure était grave. Je ne doutais pas qu’en cas de refus de ma part, la belle châtelaine se refermerait comme une huître. Pouvais-je pour autant commettre pareil sacrilège ?
J’en vins à penser qu’elle m’avait joué une fois de plus : en découvrant le codex, j’avais cru en toute bonne foi à un heureux fait du hasard. Que nenni. La baronne l’avait certainement placé délibérément à portée de ma vue et avait fait mine de me l’arracher des mains pour exciter ma curiosité.
Pour que je perce un mystère qu’elle n’avait pu sonder : le secret de ce parchemin templier écrit de secrète manière.
Elle comptait ensuite sur son esprit retors pour me conduire à lui livrer, un jour ou l’autre, la solution de ce texte mystérieux. En lui proposant un pacte, j’étais assurément tombé dans le piège subtil que la perfide dame de Guirande m’avait tendu.
Pouvais-je pour autant passer outre ? Par le Sang-Dieu, je ne l’aurais onques dénoncée, et le marché que je venais de lui proposer serait un marché de dupe : elle n’aurait rien à redouter de moi, mais je ne parviendrais pas au bout de ma quête de ce nouveau et fabuleux Graal, dont rien d’autre qu’un étrange bout de parchemin me laissait présumer l’existence.
À l’instant même où je décidai de me prêter à ce simulacre en priant le Ciel que Dieu me pardonne, Clic et Clac grognèrent méchamment, puis aboyèrent furieusement. Une voix angoissée nous parvint d’outre-tombe. Elle hucha à gueule bec :
« Messire Brachet ! Messire Brachet ! Un message du château de Beynac nous est parvenu par pigeon voyageur ! L’affaire est grave ! »
J’ouvris la porte à la volée. Raoul d’Astignac était figé à dix pas, tenu en respect par les dogues qui lui interdisaient l’accès à la chambre de la baronne.
Je les calmai, leur flattai le col et le museau et leur ordonnai de rester séants. Ils jappèrent, me léchèrent la main et obéirent, sans quitter le capitaine d’armes de leurs yeux aux pupilles noires et cruelles.
« Que se passe-t-il à la parfin, messire d’Astignac, pour que vous osiez affronter céans
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