La Marque du Temple
enflamma mon ardeur. Ses lèvres étaient restées entrouvertes, ses yeux fermés.
Elle infléchit sa position, posa ses fesses sur ses talons, à la manière des moinillons pendant les lectures du prieur dans le chapitre. Elle cambra les reins, la tête en arrière pour mieux tendre la soie de sa robe blanche et mieux mettre en valeur ses mamelles qu’elle avait généreuses, gonflées et bougrement excitantes.
Je dus résister derechef à la violente tentation de les pastisser sans la mugueter, incontinent et sauvagement, de passer mes doigts dans sa chevelure, de caresser la nuque, de saisir à pleins bras ce corps offert, de le renverser à même les lattis du plancher, de le desrober et d’en pénétrer avidement les chairs.
Je l’aidai seulement à se dresser séant, puis à se relever, conscient que nous étions cependant désormais unis par des liens sacrés et plus païens que ceux du mariage et de l’amour charnel. Par le pacte du Diable. Un pacte que nous avions passé lors d’une cérémonie sacrilège à mes yeux.
Il ne manquait plus que de boire quelque décoction, un mélange de bave de crapaud et de venin de vipère, macéré dans le sang d’un agneau nouveau-né, immolé sur l’autel de Satan.
La fin justifiait-elle cette parodie démogyne ? Tant que la sulfureuse châtelaine ne m’obligeait pas à réciter le Notre-Père des hérétiques albigeois, mon âme serait sauve, pensai-je lâchement en traçant discrètement le signe de la Croix dans mon dos. De ma main senestre, pour conjurer le mauvais sort qui ne manquerait pas de se jeter sur moi.
« Nous nous appartenons désormais corps et âme, Bertrand. Avez-vous pris conscience des conséquences de votre geste ? Il ne nous reste plus qu’à consommer charnellement et passionnément notre union.
J’esquivai l’allusion appuyée et lui demandai, non sans ironie :
— À quand le consolamentum ?
— À l’heure de votre mort, mon beau sire ; je vous l’administrerai personnellement. Si vous m’en jugez digne, me répondit-elle d’une voix étrangement rauque.
— Or donc, vous considérez-vous Parfaite, pour prétendre m’imposer les mains ?
— Non point, messire. Mais votre esprit de chevalerie me subjugue et anoblit mon âme, répliqua-t-elle. Vous pourriez aussi me l’administrer pour me purifier, vous qui respectez les règles d’abstinence à défaut de suivre celles de continence et de pauvreté.
— Je n’ai point fait vœu. Je ne prétends point suivre les règles de l’Ordre du Temple ou d’un ordre autre que celui de la chevalerie. Je me suis prêté à cette parodie de mauvaise grâce, Éléonore, et le savez. En outrepassant mes droits et mes devoirs envers ma foi catholique », répondis-je un peu gêné, et non sans éprouver un profond malaise.
« Votre frère en la confrérie du Libre Esprit, Romuald Mirepoix de la Tour, ne m’en a pas demandé autant. Peut-être est-il trop préoccupé par la rédaction complète de ses aveux… Frère Romuald et sœur Éléonore ; ô, quel beau couple feriez-vous là aux yeux d’un inquisiteur ! »
Éléonore ne répondit pas, mais le regard qu’elle me lança en disait long sur les sentiments obscurs et complexes que je devais lui inspirer. Ils m’étaient plus hermétiques que le texte des dignitaires de l’Ordre du Temple dont j’avais percé une des énigmes les plus complexes, à grand arroi de peines et avec beaucoup de chance.
Non, elle ne releva pas mes derniers propos ; elle dressa l’eschaquier sur la table, saisit délicatement les figurines d’ivoire et d’ébène et, le regard brillant à présent d’une flamme étrange, m’invita, que dis-je, me conjura de lui exposer sur le champ le secret de l’arcane qu’elle n’était pas parvenue à résoudre.
Devais-je lui livrer le produit de mes recherches ? Sans son concours, j’étais convaincu de ne pas parvenir à mes fins. Quelques points essentiels restaient encore à éclaircir. La quête du fabuleux trésor des hérétiques albigeois justifiait que je prisse quelques risques, tout en monnayant mes informations contre celles qu’elle ne m’avait encore point livrées.
Je l’interrogeai sur les raisons qui lui avaient laissé penser, avant que la flamme d’une chandelle placée par maladresse n’ait révélé le nom des signataires et le grand sceau de l’Ordre du Temple, que le texte mystérieux qui était plié et glissé à l’intérieur de la couverture
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