La Marque du Temple
avait tout à redouter d’une attaque massive dirigée sur plusieurs fronts.
Nos forces, déjà clairsemées, s’en trouveraient dispersées et affaiblies de ce fait. Seul le donjon, en raison de ses ingénieuses chicanes et de son pont-levis, de sa hauteur et de l’épaisseur des murs, constituait un ultime refuge.
J’imaginai en conséquence une stratégie fondée sur une grande mobilité des défenseurs : pouvoir intervenir très rapidement en tous points pour renforcer les endroits les plus vulnérables de notre dispositif, avant que nos ennemis ne prennent pied sur les remparts ou que nous ne subissions les conséquences désastreuses d’une brèche ou d’une sape.
Plusieurs groupes ou cohortes composées de trois archers et de trois valets se tiendraient en réserve, chargés de fourches, d’armes d’hast, de flèches et de pâtons. Ils devraient être prêts à intervenir au premier son de cor. Trois coups brefs vaudraient cri à l’arme.
Des dispositions restaient encore à prendre pour composer les cohortes et les entraîner à des manœuvres précises, sans perturber le travail des servants chargés de rouiller et d’armer les engins de jet.
Je prierais le capitaine d’armes, Raoul d’Astignac, de réunir et d’entraîner les équipes en simulant un assaut ennemi dans les prochains jours. Une sorte de répétition générale dont nos gens étaient peu coutumiers, mais qui me paraissait indispensable eu égard à la faiblesse de nos fortifications mineures.
Quant à moi, au-delà des flagorneries que m’adressaient d’aucuns parmi les gentilshommes de la place, j’avais bien conscience de n’être que bien peu averti de l’art de soutenir un siège. Je redoutais, en mon for intérieur, que les plus serviles d’iceux ne soient les premiers à provoquer une violente émotion si nos affaires prenaient mauvaise tournure : ils considéreraient que j’avais failli en n’ayant pas su prendre des dispositions autres que celles qu’ils avaient approuvées ce jour d’hui. Ne seraient-ils pas les premiers à contester ma stratégie et mes dispositions tactiques demain, si le sort des armes nous était défavorable ?
Les paroles du chevalier Mirepoix de la Tour me laissaient étrangement dubitatif : “ Faut-il donc que vous soyez aveugle pour ne point comprendre qui, en cette place, conspire sournoisement contre vous. Qui occit témoins, maladroits et délateurs. Réfléchissez, messire : la vérité crève les yeux. Analysez les circonstances de ces meurtres, vérifiez les alibis et gardez-vous de ne traquer que de simples mirages. Puissent vos yeux se dessiller avant qu’il ne vous arrive plus grand malheur ! ”
Aurais-je commis une erreur sur sa personne en l’accusant de meurtres et de tentatives de meurtre ? L’aurais-je emmuré à tort ? Un traître, que je n’aurais pas démasqué, se cachait-il parmi mes autres compains d’armes ? L’hypothèse m’interpellait au point de voir des félons rôder partout autour de moi.
La salle des gardes était déserte. Je gravis quatre à quatre les marches de l’escalier en caillemaçon et frappai sèchement deux coups à la porte d’Éléonore de Guirande.
Elle m’invita à entrer un bref instant plus tard. La châtelaine se tenait agenouillée devant moi. Elle se leva. Je m’apprêtais à ressortir, ne voulant la distraire de ses prières. Elle me pria de rester céans et de refermer le battant. Je le fis doucement sans la quitter des yeux.
Elle effectua trois génuflexions devant moi, ôta son chaperon, sa guimpe, et dénoua ses cheveux d’un noir d’ébène. Elle secoua la tête d’un côté à l’autre, d’avant en arrière, et les releva d’un mouvement des mains à hauteur de la nuque, bomba la poitrine, puis joignit les mains, doigts allongés. Ses cheveux replongèrent en cascade sur ses épaules et sur ses reins.
« Messire Bertrand, vous connaissez la suite de la cérémonie », chuchota-t-elle simplement. La châtelaine avait de la suite dans les idées. Elle ferma les paupières sur ses yeux dorés et me tendit ses lèvres avec une grâce exquise. Je compris que je ne m’en sortirais pas tant que je ne me serai pas prêté à ce simulacre de sacrement hérétique.
En guise de réponse, je posai ma dextre sur son épaule et déposai sur ses lèvres le baiser de paix selon leur tradition lorsqu’un Croyant pratique ce rite. Son corps fut parcouru par un léger frisson qui
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