La Marque du Temple
à ais de bois du codex avait été écrit par des chevaliers templiers.
Je lui rappelai qu’elle y avait fait allusion lors d’un de nos précédents entretiens, avant que les caractères jaunis sous l’effet de la chaleur n’apparaissent pour ne plus disparaître.
Éléonore de Guirande me confirma qu’elle le pressentait depuis des lustres : la croix de gueules, le gonfanon haussant d’argent au chef de sable… autant d’indices qui l’avaient mise sur la voie des emblèmes templiers.
Avant de poursuivre plus avant et de lui livrer le fruit de mes déductions savantes, je la priai d’achever une phrase que la violence d’une gifle qu’elle m’avait administrée avait interrompue. Donnant donnant, lui affirmai-je sans sourire, les lèvres pincées. Elle lut la détermination dans mon regard et, poussant un “Ah oui !” de résignation avant de tenter une ultime et dérisoire échappée :
« Moi, messire Bertrand ? Comment ai-je pu commettre ce crime de lèse-majesté ? Qu’aviez-vous donc tenté pour me pousser à un tel geste ? Je n’en ai plus souvenance.
— Non, Éléonore, non ! De grâce, je vous en prie !
— Qu’ai-je dit alors ?
— Je vous ai demandé, mais vous vous en souvenez parfaitement, je ne suis pas dupe : quel secret Isabeau de Guirande, votre nièce, détient-elle pour inspirer une conspiration du silence sur sa personne ? Serait-elle boiteuse, naine ? Quel rapport ce secret aurait-il avec votre dot ou la sienne ? Vous m’avez alors répondu : “Elle est la seule à savoir où se trouv…”, sans achever votre phrase. La joue m’en cuit encore ce jour d’hui.
— Vous devez faire erreur, mon doux ami. Ma main ne se porterait sur vous que pour flatter la virilité que vous avez manifestée en moult occasions au contact de mon corps.
— Vous avez une dette envers moi, ma Dame : je suis sur le point de vous livrer la signification de ce parchemin templier écrit de secrète manière, et vous vous remochinez ! Vous n’avez toujours pas répondu : Isabeau “est la seule à savoir où se trouve…” ? Or donc, où se trouve quoi ? Qui paye ses dettes s’enrichit, dit le proverbe, et vous tentez de m’emburlucoquer pour ne point répondre à mes questions.
— Ce ne sont point des dettes, un oubli, peut-être.
— Non point un oubli, une phrase inachevée, Éléonore.
— Vous jouez sur les mots, Bertrand, et d’ailleurs ce proverbe est stupide. Seuls les créanciers l’invoquent. Chacun sait que pour s’enrichir, il ne faut onques s’acquitter de ses dettes. Cela donne de mauvaises habitudes aux bailleurs et ne les dispose plus à bailler derechef de nouvelles avances, dès lors qu’ils ont récupéré leur mise. »
La baronne dut voir le sang me monter à la tête. Elle esquissa le geste d’effleurer ma joue du bout de ses ongles vernis, et :
« Tout doux, mon ami, tout doux, ne vous fâchez point. Oui… je me souviens à présent. Vous m’avez pris la langue alors que je tentais de vous faire comprendre que ma tendre nièce savait où se trouve l’ordre de succession qui nous confirmera en nos prétentions. Dans l’attribut de ma dot, mon jeune damoiseau », m’affirma-t-elle chatemite.
Un pli amer, au coin de la bouche accentuait les quelques rides en pattes d’oie qui se dessinaient de part et d’autre de ses yeux au-dessus des fossettes de ses joues.
« Le baron de Beynac, votre époux, n’a point tort de vous reprocher de ne vivre que de chimères. De n’être dotée que de fantasmes. J’ai peine à croire qu’un tel acte de succession existe vraiment, lançai-je, avec une moue dubitative. N’avez-vous pas reconnu par ailleurs que vous n’étiez héritière du fabuleux trésor des hérétiques albigeois qu’en deuxième main ? Après votre nièce ?
— Je regrette que vous mettiez ma parole en doute. Peut-être n’ai-je pas osé vous révéler alors toute la vérité sur l’ordre de succession ? Je vous connaissais si peu, messire de Born… En vérité, il est en ma faveur ! En première main ! Mais rassurez-vous, je saurai, le moment venu, être généreuse avec ma gente nièce. Vous savez, cette gente Isabeau que vous croyez marier un jour ? À présent, j’ai répondu à votre question et ne puis vous en dire plus, roucoula-t-elle.
— Peu me chaut l’ordre de succession, osai-je mentir, mais pour quelle raison votre nièce Isabeau ne vous aurait-elle pas indiqué en quel
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