La Marque du Temple
de prix.
Ton cœur palpite en confiance,
Au creux du sol niche la perdrix.
Laisse-moi bercer ton cœur
Plein de douce nostalgie,
Dans l’attente de l’heur
Qui fondera notre vie.
« Le bain va refroidir, messire, et je crois que vous en avez grand besoin, me chuchota-t-elle à l’oreille en se hissant sur la pointe des pieds. Je vous ai apporté des chainses et des… chausses propres. Ainsi que deux magnifiques surcots à vos armes. La toile de caslin fut difficile à défroisser tant le tissu est de belle qualité. Serait-ce un présent de quelque princesse ?
— Une princesse ? Oui, tu ne crois pas si bien dire. La princesse des mil et une nuit.
— La fille du roi de Chypre et de Jérusalem, n’est-ce pas ? Échive de Lusignan ? me demanda-t-elle, les yeux coquins. Vous voyez, messire Bertrand : rien n’échappe à ma sagacité. Alors, si j’avais ouï quelque bruit sur le décès du baron…
— Cesse tes chatonies, dévêtis-toi, lui ordonnai-je. Et rejoins-moi dans le bain. Le baquet est assez grand pour deux et tu y occuperas moins de place que moi.
— Me dévêtir ? Sous vos yeux ? C’est contraire aux convenances. Je ne suis point dévergognée !
— Oui, dénude-toi incontinent, c’est un ordre ! Je fermerai les yeux, mentis-je effrontément.
— Un ordre ? Marguerite n’en croyait pas ses oreilles.
— Oui, un ordre ! dis-je en me dévêtant et en rentrant dans le bain. Tu en meurs d’envie. À moins que ma crasse ne t’indispose. Non ? Alors obéis. Allez, allez, dépêche-toi, l’eau va refroidir. Elle est délicieusement chaude et fumante. Et n’oublie pas le gant de crin. Tu me frotteras le dos. Et ne joue pas les coquefredouilles. Tu m’as déjà palpé sous toutes les coutures un certain soir dans l’eau d’un bain, lorsque nous sortions des souterrains. Ne te souviens-tu plus ? »
Marguerite ne se fit pas prier, se dévêtit plus vite qu’une libellule ne mue et se glissa tête-bêche dans l’eau en poussant un petit feulement de plaisir. Je fermai les yeux un peu plus tard que je ne le lui avais promis.
« Marguerite, j’ai lu ce soir dans tes yeux que tu me cachais quelque chose.
— N’ai-je point le droit de cultiver quelque jardin secret, messire Bertrand ? me répondit-elle d’un air curieusement triste.
— Hum… hum. Dis-moi alors quel est ce codex que tu tiens en main.
— Une bien belle histoire de chevalerie. Un roman écrit par Chrétien de Troyes, un trouvère : le Chevalier de la Charrette. Je prépare mes prochaines leçons de lecture. Dame Éléonore de Guirande m’en a confié le premier volume. Je devrai lui en faire lecture demain. Elle veut ouïr mes progrès.
— Et bien, installe-toi dans mon faudesteuil et fais-m’en répétition à haute voix, je te prie.
— Messire, je dois regagner le dortoir des lingères ; il se fait bien tard.
— Que nenni, tu ne quitteras pas ma chambre cette nuit. Tu n’en souilleras pas les draps, rassure-toi. Je dormirai sur ce siège et toi, dans mon lit. Et ne rechigne pas, c’est ma volonté, enfin mon désir si tu préfères. Oserais-tu m’affronter derechef, moi le maître des lieux, bien que je ne le sois que par intérim, comme s’est plu à me le rappeler un jour notre capitaine d’armes de la place, Raoul d’Astignac ?
— Messire, je me plierai à vos désirs s’ils ne sont point des ordres, mais j’éprouve grande honte à lire à haute voix devant vous un texte que je n’ai pas encore lu à basse voix. Votre écolière n’est point assez instruite sur l’heure, pour ne pas rougir à l’idée de vous faire mauvaise lecture du poème d’un trouvère devant un troubadour aussi talentueux que vous.
— Ne sois pas inquiète, je serai clément ; il n’y a pas si longtemps, tu ne savais ni lire ni écrire. J’ai grande hâte à m’assurer de tes progrès, et préfère en juger par moi-même que d’entendre les éloges que ta maîtresse ne manque pas de prodiguer à ton égard. »
Marguerite lut plusieurs versets que j’avais choisis au hasard. Sa voix était mélodieuse et sûre. Elle ne trébuchait presque jamais sur un mot ou sur une phrase, comme le font habituellement les jeunes turlupins en leur période d’apprentissage.
Mieux, elle en comprenait le sens : elle savait moduler l’intonation de la voix pour l’adapter au contexte, à l’intensité dramatique des aventures du héros. Je l’écoutais,
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