La Marque du Temple
de l’eau chaude pour votre bain. »
Elle s’inclina et, me tournant le dos, se dirigea vers la porte. Je lui saisis la main au moment où elle l’entrebâillait, la refermai d’un coup de botte et l’attirai tout contre moi. Elle tremblait de colère. Son cœur pleurait des perles qui inondaient son beau visage, lorsqu’on cogna le heurtoir de bronze.
Marguerite se précipita dans le cabinet d’aisance pour s’y cacher. René et deux lingères portaient trois seaux d’eau bouillante. Ils en remplirent le baquet et me souhaitèrent le bon soir, non sans avoir jeté un coup d’œil lubrique, à la recherche d’une présence féminine et parfumée.
Je ressentis un profond désarroi et m’en voulus affreusement d’avoir pu douter de ma jolie lingère. J’ouvris la petite porte du cabinet, m’approchai silencieusement de Marguerite, lui posai les mains sur les épaules pour l’inviter à me regarder. Elle ne le fit qu’avec réticence.
J’essuyai ses yeux et ses joues de ma main senestre avec un linge de soie. Celui sur lequel la princesse Échive avait fait broder une dame de cœur.
« Par le Sang-Dieu, Marguerite, je ne voulais pas t’offenser. Comprends seulement le prix que j’attache à ton silence. Et cesse de te remochiner, à la parfin, tu sais bien que je t’aime !
— Il y va de l’amour comme du courage, messire Bertrand. Trêve de déclarations, prouvez-le-moi ! me dit-elle en levant le menton vers moi et en me tendant ses lèvres.
— Tu m’aimes trop pour avoir besoin de me demander de te le prouver, lui répondis-je pour la tabuster. Tu sens bien mon attirance pour toi.
— Je sens surtout le parfum de la Dame blanche et l’odeur du crottin de cheval, mon méchant sire », minauda-t-elle en frôlant mes joues et en fronçant son petit nez coquin.
Je l’enlaçai, la pressai sur mon cœur et baisai ses lèvres du bout des miennes. Elle s’ococoula contre moi et ceingnit ses bras autour de ma taille. Comment lui expliquer que j’aimais Isabeau de Guirande de toutes mes forces et jamais ne renoncerais à mon amour pour ma gente fée aux alumelles, aussi désirable ma petite Marguerite fut-elle ?
Ses grands yeux de la couleur des châtaignes claires s’ouvrirent tout grand et plongèrent dans les miens avec une force qui me transperça de part en part. Comme si elle voulait lire les pensées de mon âme. Ou me faire comprendre quelque chose qu’elle n’osait encore me dire. Je soutins son regard avec une acuité de plus en plus grande, de plus en plus prégnante.
Nos corps plaqués l’un contre l’autre, nous étions comme deux statues de glace. Mais la glace fondit très vite. Un phénomène extraordinaire et bouleversant se produisit alors : plusieurs minutes durant, nous nous connûmes charnellement. Par le simple regard de nos deux prunelles rivées les unes dans les autres.
Je lus mon trouble dans ses yeux, elle lut le sien dans les miens, comme dans le reflet que nous aurait renvoyé la lunette d’un miroir en métal poli.
Mes yeux dénudaient son corps, le dévoraient, le parcouraient, léchaient sa peau, baisaient ses oreilles, caressaient ses cheveux, effleuraient ses lèvres. Les siens me dévêtirent avec lenteur, avec douceur, avec une immense tendresse et une étonnante pudeur.
Sans dire un mot, sans bouger d’un pouce, si ce n’est qu’imperceptiblement, sans qu’un battement de cil ne trouble ce plaisir immense, surnaturel, nous fûmes bercés, enlacés dans une imaginaire nudité jusqu’aux limites extrêmes d’une profonde et inoubliable jouissance.
Soudain mes reins furent agités de soubresauts convulsifs que je ne parvins plus à maîtriser. Au même instant, nos deux corps furent parcourus par un puissant spasme qui nous enchaîna l’un à l’autre. Un liquide chaud et épais se répandit à l’intérieur de mes chausses et en fonça la belle couleur azur.
Marguerite le sentit sans le voir, me sourit aux anges, ferma les yeux, posa sa tête sur mon épaule et me pressa plus fort sur son cœur. Nous restâmes très longtemps, debout, dans cette position, toujours aussi immobiles que des statues de cire.
Mais nous avions ressenti, à l’unisson, plus qu’une simple jouissance physique. Sans avoir commis le péché de chair, nous avions partagé le plus bel acte qui soit, un acte d’… un acte d’… Je n’osai prononcer le mot “amour”.
Loin de toi, ma vie n’a pas de sens,
Près de moi, ta vie n’a pas
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