La Marque du Temple

émerveillé, et me réjouissais que Guillaume de Lebestourac m’ait donné l’idée de l’instruire. Elle avait fait des progrès spectaculaires.
    Alors que je la complimentais pour la qualité de sa lecture, elle leva les yeux vers moi et me dit :
    « Le pont dans l’eau, le passage des pierres, le pont de l’épée… ces mots n’évoquent-ils rien pour vous ?
    — Ce ne sont là que des métaphores, Marguerite.
    — Des méta… quoi ? Je ne comprends que nenni à votre charabia.
    — Des métaphores, des figures de style si tu préfères ; une façon de décrire, de manière poétique, des objets, des situations imaginaires. À quoi pensais-tu ?
    — C’est étrange, mais j’ai l’impression d’avoir vécu des obstacles semblables lorsque nous cheminions à grand arroi de peines dans les souterrains. Souvenez-vous :
    « Les deux puits inondés qui nous donnèrent accès au souterrain, le piège de la trappe qui a failli m’engloutir, n’étaient-ils pas une sorte de pont dans l’eau  ?
    « Plus tard, nous pénétrâmes dans une petite salle qui ne comportait apparemment aucune issue et nous avons craint un cul-de-sac. Je parvins alors à dégager une ouverture en piquant la paroi. N’avions-nous pas franchi le passage des pierres  ?
    « Lorsqu’enfin j’ai chu dans une catacombe et réussis à m’en extraire avec une agilité qui vous a surpris, vous vous êtes encordé de peur de la vertigine. En franchissant l’étroite passerelle qui surplombait le cul-de-basse-fosse, à près de deux toises de hauteur, aussi tranchante qu’une lame, n’avez-vous pas eu l’impression de passer sur le pont de l’épée  ?
    « C’est un peu comme si nous avions vécu les aventures du Chevalier de la Charrette… N’en auriez-vous plus souvenance, messire Bertrand ? Votre mémoire serait-elle aussi courte que vos heuses ? »
    J’en restai interdit, stupéfait, la bouche sèche. Comment, pourquoi n’avais-je pas fait le rapprochement avec le manuscrit secret qui portait la marque du Temple ! Marguerite, dans sa perspicacité, par son sens de l’observation, par son aptitude à rapprocher les événements que nous avions vécus de la lecture d’un roman de courtoisie, avait découvert l’un des principaux arcanes du mystérieux parchemin templier. Elle m’ouvrait la voie du plus magnifique trésor de tous les temps !
    « C’est proprement incroyable, hallucinant, Marguerite ! Tu viens de m’ouvrir les yeux sur un secret d’une inestimable valeur ! » m’écriai-je en posant sur ses joues deux baisers plus appuyés que tendres.
    Elle me regarda, d’un air étonné. Elle ne pouvait comprendre qu’elle avait découvert l’endroit où se trouvaient certainement les douze Maisons  ! La splendide salle, que je nommerai volontiers la salle des Chevaliers de la Table ronde en raison des douze cénotaphes en harnois plain qui reposaient de part et d’autre de la table sur laquelle nous avions vu plusieurs statuettes d’argile.
    Je ne doutais pas que le trésor des hérétiques albigeois y reposât depuis près de cinquante ans ! Comment avais-je pu ne pas y penser plus tôt ? ! ! ! Mais, ce trésor ne serait-il point une chimère, à la parfin ? Ainsi que ma douce Isabeau de Guirande qui inspirait une incroyable conspiration du silence ?
    L’étude de cette énigme m’avait plongé des jours durant dans un abîme de réflexion. En quelques instants, Marguerite avait apporté une réponse à l’une des questions les plus fondamentales et les plus lancinantes que je me posais.
    Dans un éclair de génie et en toute innocence, elle venait de lever le voile sur l’un des secrets les mieux protégés, les mieux gardés par l’Ordre du Temple, certainement dépositaire pour une raison encore inconnue de la fortune des hérétiques albigeois, des Bons hommes et des Bonnes femmes, et qui sait, peut-être aussi de leur Livre sacré.
    Je lui expliquai les raisons de ma joie en prétextant un jeu d’esprit auquel nous nous étions livrés, la baronne et moi : Marguerite avait miraculeusement trouvé la solution du problème que nous nous étions posé. Je lui recommandai derechef de n’en parler ni à icelle ni à quiquionques sous aucun prétexte. Elle jura sur la Croix de s’accoiser à tout jamais.
     
     

     
     
    Marguerite dormait à poings fermés, dans mon lit, sous une épaisse peau de mouton. Ses traits étaient détendus. Elle était en vérité d’une