La Marque du Temple
capitaine ?
— Vous, messire ? Capitaine de la place ? s’esbouffa-t-il en ricanant. Il y a là grande batellerie !
— N’y voyez ni piperie ni batellerie. Prenez donc connaissance céans des ordres de messire Pons, notre maître. »
Le capitaine d’armes se saisit du parchemin, en brisa le sceau, déplia le document et lut l’ordonnance à voix de plus en plus haute. Comme s’il voulait se concentrer sur sa lecture et couvrir les gémissements de son malheureux arbalétrier. À voir ses yeux ébahis, il ne devait pas en croire ses propres oreilles :
« Nous, Fulbert Pons de Beynac, premier baron du Pierregord et sire de Commarque par la grâce de Dieu et de notre respecté suzerain le roi de France, ordonnons et proclamons ce qui suit.
« En quelque affaire que ce soit et en quelque office qu’ils soient, le capitaine d’armes Raoul d’Astignac, les chevaliers, officiers et sergents , les maîtres et les valets, tous les serviteurs et servantes du château de Commarque sont tenus d’obéir en tous points et ce, sous peine de félonie, à messire Bertrand Brachet de Born, notre estimé et fidèle premier écuyer, à qui nous déléguons nos droits de basse justice et le commandement de notre place en qualité de capitaine de céans.
« Jusqu’à notre arrivée en le château, que nous espérons dans les prochains mois si la terrible epydemie qui sévit en nos contrées nous permet de chevaucher vers vous, messire Bertrand Brachet de Born assurera la fierté et le devoir de commander notre place de Commarque en notre nom. S’il advenait que d’aucuns des chevaliers, des écuyers ou des gentilshommes qui nous ont prêté serment d’allégeance venaient à faillir, ils seraient punis dans leurs biens et leurs personnes selon la gravité de la faute qu’ils auraient commise.
« Si, à Dieu ne plaise, il nous arrivait malheur, messires Foulques de Montfort, Guillaume de Saint-Maur et Raymond de Carsac, magnifiques chevaliers bannerets de notre suite, seraient subrogés en tous nos droits , et ce, dans l’ordre de préséance susmentionné. Ils recevraient la jouissance des châteaux, châtellenies et autres maisons fortes de notre baronnie , à titre jurable et rendable, jusqu’à la lecture de nos dernières volontés, dûment attestées, sous les seings et les sceaux de nos témoins à la rédaction de cet acte.
« Fait en notre château de Beynac, en l’an 1348, à sept jours des calendes de juillet, en présence de Jules Faucheux, clerc notaire. Pour valoir ce que de droit. »
Les bras lui en tombèrent. Pantois, il finit par me rendre le parchemin. Je l’interpellai :
« Les ordres du baron vous paraissent-ils clairement exprimés, messire capitaine ?
— Oui, certes. Les ordres sont clairs.
— Ai-je alors votre parole de gentilhomme ? Ne m’embufez pas ! Vous êtes de noble naissance, messire d’Astignac, à ce que je crois savoir ?
— Vous avez ma parole, messire Brachet. Je suis votre serviteur et ne serai point félon à la cause du baron de Beynac. »
Sur le coup, je crus qu’il allait claquer les talons. Nous n’avions pas coutume de le faire. Il ne le fit pas, mais il s’inclina légèrement et se déclara en l’attente de mes ordres.
« N’aviez-vous pas été averti par pigeon voyageur de notre venue par les voies souterraines ?
— Si messire, mais comprenez : votre aspect, votre tunique. Nous guettions votre arrivée depuis deux jours sans savoir par quel trou vous sortiriez. Il existe de nombreux souterrains qui partent du château pour se répandre dans la vallée de la Beune.
« Ils se croisent et s’entrecroisent parfois au point de former un dédale inextricable où seule une personne munie d’un fil d’Ariane pourrait revenir sur ses pas. Alors, pensez, si venez de Beynac ! » Pour se justifier, le capitaine devenait très baveux. Un peu trop même. Il surenchérit :
« Selon une ancienne légende à vous glacer l’échine, des imprudents s’y seraient aventurés et y auraient été dévorés… Nous nous gardons bien de pénétrer en ces lieux.
— Oh, vous intéressez-vous à la mythologie de la Grèce antique, capitaine ? Que voilà de belles lettres ! Or donc, capitaine, considérez que je me nomme Thésée. Nous avons été retardés en chemin par quelques embûches et avons dû affronter le Minotaure. Nous y avons perdu un compain, un coquardeau, un écuyer. Un certain Arnaud de la Vigerie. Le
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