La Marque du Temple

tenté de forcer une innocente. Tu connais la règle. Le baron de Beynac se plaît à l’exécuter quel que soit le rang de celui qui commet ce genre de crime.
    — Innocente, cette ribaude ? Non, mais tu plaisantes ! Elle est chaude, la bagasse ! Mais je ne sais pas ce que tu lui trouves d’autre, à la parfin ! »
    Pour ces paroles révoltantes, j’eus folle envie de le gifler à mort. Ou de l’empaler incontinent. Je me contrôlai. En me souvenant du supplice atroce que deux écuyers du roi de Chypre, Hugues de Lusignan, s’étaient vus infliger. Après qu’ils eussent été reconnus coupable du crime de sodomie sur la personne de la princesse, sa fille, ma bien-aimée Échive.
    J’arrachai le bâillon que ce cuistre paillard avait serré entre les dents de Marguerite pour étouffer ses plaintes :
    « Ce porc t’a-t-il forcé, Marguerite ? la questionnai-je avec grand effroi. Si tel est le cas, je l’occis incontinent ! »
    Ma petite lingère, mon petit cœur, suffoquait d’indignation et de rage. Elle bafouilla :
    « Dieu en soit loué ! Non point, messire Bertrand. Mais il s’en est fallu d’un cheveu que ce rat hideux ne me pique de son dard. Vous n’auriez pas été là… »
    Sa voix s’était enflée, plus aiguë. Elle se dressa devant lui et, sans prendre le temps de rabattre complètement sa robe, elle lui lança une paire de claques plus fortes que celles qu’il avait essuyées jusqu’ici du chevalier de Montfort ou du baron de Beynac. La douce Marguerite avait non seulement du caractère, elle avait aussi la main leste. Il chancela sous le choc.
    « Tu ne l’as pas volée, icelle, lui dis-je. Excuse-toi !
    — Jamais ! Es-tu fou ? Je lui ai sauvé la vie à cette garce !
    — Menteur ! Sale menteur ! Vous n’êtes qu’un chatemite ! Qui ne pense qu’à paillarder ! rugit-elle, rouge de colère. Messire Bertrand, sachez à présent que cette bête immonde m’a fait choir délibérément dans la trappe du piège. À l’instant où je m’apprêtais à franchir le passage, il s’est brusquement avancé pour que je me heurte à lui ! J’ai glissé et je suis tombée.
    « C’est à mon bâton que je dois la vie sauve. Il était coincé par le travers de la trappe ! C’est à mon bâton que je dois la vie sauve ! Et non point à ce porc qui se prétend gentilhomme et qui se comporte comme le plus cuistre de nos manants ! Il me donne envie de raquer plus sûrement que du vin de truie ! » À bout de souffle, Marguerite éclata en sanglots.
    « Elle ment ! Ce n’est point la vérité ! Tu n’es qu’une petite menteresse, qu’une sale bagasse ! » éructa Arnaud, en tentant de lui balancer une paire de gifles. Elle rua, se débattit bec et ongles, le griffa au visage.
    « C’est la vérité, messire Bertrand ! Je vous le jure sur les Évangiles ! » clama-t-elle entre deux sanglots en repoussant vivement Arnaud.
    — La vérité est comme une dame putain, elle écarte les cuisses pour mieux vous baiser ! » rétorqua Arnaud au bord d’une crise d’épilence, livide comme un linceul.
    Il releva violemment ses chausses et renoua les aiguillettes qui les retenaient. Elles se rompirent alors qu’il se dirigeait à grandes enjambées vers son épée. Une fesse à l’air, humilié, il perdit un temps précieux s’il voulait m’affronter.
     
    René, l’épée dégainée et la barbe frémissante, s’interposa. Il effectua deux moulinets et pointa son épée sur la poitrine d’Arnaud. Avec une grande sûreté de main. Avant même que je n’eusse le temps d’intervenir. D’un geste, je lui enjoignis de la remettre au fourreau.
    J’en fis de même, mais il ne s’y résigna qu’après avoir longuement fixé Arnaud de ses yeux vairons. Sous le coup de l’émotion, j’interpellai Marguerite brutalement, sans raison aucune. Je n’aurais pas dû :
    « Quant à toi, évite désormais de te promener à l’écart ! » persiflai-je.
    J’étais égoïstement révolté par la scène à laquelle j’avais assisté et, jalousie aidant, ne voilà pas que j’adressai à présent des reproches à la victime ! Marguerite s’attendait à tout de moi. Sauf à m’entendre prononcer des paroles aussi dures à son égard. Son caractère prit le dessus et se révolta :
    « Mais messire, vous n’allez tout de même pas penser que… je m’étais levée pour soulager ma vessie à l’écart, si vous voulez tout savoir. Ce… ce… ce baveux