La Marque du Temple
connaissez-vous, messire capitaine ?
— Euh, oui. Pour l’avoir déjà vu en compagnie du chevalier de Montfort », bredouilla-t-il en détournant les yeux.
Je n’insistai pas. Je tirerais cette affaire au clair plus tard. Sur l’heure, j’avais d’autres préoccupations. Mais le capitaine était doté d’un esprit curieux qui me porta sur les nerfs :
« Le souterrain que vous avez emprunté débouchait-il en la chapelle ? Je n’y vois pourtant aucun accès ?
— Non pour sûr ! Nous nous y sommes recueillis pour remercier Dieu et la Vierge de nous avoir guidés jusqu’à vous. Et de nous avoir soutenu le bras dans notre combat contre le Minotaure. Savez-vous qu’en vérité, il n’y avait point de Minotaure ?
« Plus terrible encore, nous avons dû affronter et terrasser un dragon géant dont la gueule crachait feu et flammes comme l’enfer de soixante-six feux grégeois ! » répliquai-je précipitamment, pour couper court à d’autres questions auxquelles je n’étais pas encore préparé.
À voir ma mine résolue, l’homme ne s’esbouffa point à rire. Pour couper court à ses doutes et aux questions qu’il ne manquerait pas de me poser derechef, je changeai incontinent de sujet :
« Au lieu de me soumettre à la question, mandez plutôt à votre homme encore valide de faire gratter un bref message sur lequel je porterai mon sceau et mon seing. Il y sera écrit en petites carolines : “Parvenus sains et saufs. Arnaud de la Vigerie mystérieusement disparu.”
« Et lâchez le pigeon qui vous a informé de notre venue. Sa femelle l’attend. Il regagnera la forteresse de Beynac à tire d’ailes. Ne le lâchez cependant qu’en ma présence. Je tiens à m’assurer de la direction de son envol. »
Ne sait-on jamais, pensai-je, une fois le baron averti de notre présence à l’intérieur du château de Commarque, nous n’aurions en principe plus à redouter que l’on nous y fît un mauvais sort. Je poursuivis :
« Faites préparer trois baquets d’eau chaude. Vous en placerez deux en plein air, pour mon sergent et moi, le troisième en votre lingerie ou dans quelque pièce réservée aux servantes. Pour notre lingère, Marguerite.
« Et brisez donc la flèche qui cloue ce maladroit. Mais ne tentez surtout pas de l’arracher si le vireton est muni d’un fer à barbelure ! Les crochets déchireraient les chairs de ce qui lui reste de pied. Avez-vous un barbier en ces lieux ?
— Non point : il était hors les murailles lorsque le baron nous a enjoint dans le message qui annonçait votre venue de “ verrouiller les loquets et de fermer les écoutilles ”, en interdisant toute entrée ou toute sortie des enceintes.
— Marguerite, notre lingère, connaît quelques rudiments de médecine. Elle sait soigner les blessures par les plantes. Dès qu’elle sera lavée et aura changé de robe, elle pansera ce malheureux. Sur l’heure, qu’il ne bouge pas. Que l’état dans lequel son émeuvement l’a mis lui serve de leçon et de pénitence.
« Qui fait office pour raser en l’absence de votre barbier ? Votre barbe m’a l’air bien taillée. Le faites-vous vous-même ?
— Non messire, j’ai recours au ciseau de Mathieu Tranchecourt. Il sait tondre la laine des moutons. Nous n’avons mieux à vous offrir, messire Brachet. Je le regrette.
— Peu me chaut. Faites-le quérir. Je tiens à me présenter à mon avantage », lui ordonnai-je.
Le capitaine d’armes dut saisir mon allusion. Il mit la main sur la garde de son épée, me jeta un dernier regard qui en disait long sur les sentiments qu’il me portait et fit demi-tour. Je l’arrêtai dans son élan :
« Capitaine ! À quel jour de ce mois sommes-nous rendus ? L’heure de none n’approche-t-elle pas ?
— Si messire, mais je ne sais au juste à combien de jours des ides. Deux jours ou trois jours. Ou le jour des calendes, le 1 er juillet, que sais-je ? » me répondit-il, comme si ma question n’avait pas d’importance.
Je souhaitais cependant savoir depuis combien de temps nous avions quitté la forteresse de Beynac. Pour franchir quelle distance ? Trois lieues en surface ? Combien de lieues dans les souterrains ? Sans doute ne le saurais-je jamais.
« Un instant encore, je vous prie, capitaine : dès que nous serons étrillés et vêtus de propre, vous rassemblerez toute la garnison et tous les serviteurs. Sauf les sergents postés. Vous prierez aussi les
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