La Marque du Temple
romaine n’auraient-ils pas été les instigateurs, voire les exécutants résolus d’une politique immuable depuis plus de trois siècles ?
Déjà, un siècle et demi plus tôt, ils auraient commandité l’assassinat de leur propre cardinal-légat, Pierre de Castelnau, pour faire endosser aux hérétiques albigeois la responsabilité de son meurtre ! Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, pour déclencher l’éradication religieuse et militaire d’une hérésie que les campagnes de prêches pacifiques des pères dominicains n’étaient pas parvenues à contenir. N’auraient-ils pas tenté la même manœuvre contre les croyants en Allah ?
Autant je ne croyais pas du tout à l’évocation d’un complot juif, autant ne me semblait pas dénuée de fondements la possibilité d’une manœuvre préparée de longue date pour ranimer l’esprit des Grands Pèlerinages de la Croix, après avoir éradiqué l’hérésie albigeoise.
Ou pour exposer les précieuses reliques à la vue des fidèles. Moyennant prébendes et oboles, et délivrer de grandes et belles indulgences en échange d’encore plus beaux écus sonnants et trébuchants ? Les voies du Seigneur sont maintes fois impénétrables, dit-on. Que dire de celles de ses représentants ici-bas ?
Mais alors, dans ce cas, une chose ne gluait pas : si le Saint-Siège avait tenté de récupérer les fioles sacrées, pourquoi le père d’Aigrefeuille me les aurait-il confiées au seuil de la mort ?
Et pourquoi m’avait-il supplié de les placer en sûreté, plutôt que de les remettre à son frère, l’évêque Guillaume d’Aigrefeuille, dès mon arrivée en Avignon ? Aurait-il redouté l’usage qui pouvait en être fait par ses supérieurs ?
Qui pouvait bien l’avoir occis pour se les approprier ? Une des fioles, celle qui fut dérobée dans le confessionnal, aurait-elle été débouchée accidentellement par son meurtrier ?
Quel rôle Arnaud de la Vigerie, le chevalier Foulques de Montfort et le baron Pons de Beynac jouaient-ils sur l’eschaquier de la vie et de la mort ? Ou d’aucuns parmi les autres grands seigneurs ?
Et si, en réalité, toutes les parties en présence se livraient un combat sans merci pour atteindre leurs propres buts ? Des buts plus ou moins différents, voire fondamentalement opposés les uns aux autres ? Mais quels buts ?
Une dernière chose me chagrinait à la parfin. Éléonore de Guirande avait employé à moult reprises le terme apostole pour désigner notre Saint-Père le pape. Dans le feu de nos conversations, cela lui avait-il échappé ?
J’avais ouï dire que le mot avait été employé autrefois par les hérétiques albigeois en signe de dépris pour le chef de notre Sainte-Mère l’Église. Or donc, éprouverait-elle quelque sympathie pour l’hérésie ? Mais si tel était le cas, pouvais-je accorder deci en avant quelque crédit aux terribles accusations qu’elle avait lancées ?
Je mis fin à notre joute, ce jour, et n’engageai plus le fer avec la baronne pendant près d’une semaine, le temps de réfléchir et de gratter la plume sur le parchemin pour y consigner le résultat des premières et surprenantes déclarations d’icelle.
J’en avais en effet pris l’habitude depuis que le baron de Beynac m’avait reclus dans l’antichambre de la librairie du château. Lorsque ma vie se jouait à pile et croix. Plus de trois ans auparavant {xxiii} .
Et, par la même occasion, autant laisser la trop belle châtelaine brouillir à petit feu en espérant qu’elle ne réaliserait pas avoir été dupée. Dupée par mon stratagème au jeu de la vérité. Car il est vrai que la manœuvre pour la laisser gagner jusqu’au dernier moment avait été cousue de gros fils blancs.
À dix jours des calendes d’août, le 21 juillet, la silhouette évanescente et dénudée d’une sylphide s’éloignait par une belle nuit de lune ronde.
Son corps délié, aux formes rondes, aux fesses généreuses, était caressé par une légère brise. Ses cheveux descendaient telle une rivière d’argent sur le creux de ses reins. Ils se balançaient, mollement, suivant le mouvement lent et ondulant de ses hanches. Ses pieds ne trébuchaient pas sur le terrain rocailleux et chaotique. Ils en effleuraient la surface, telle la queue d’une sirène marchant sur les eaux d’un lac.
Elle tenait avec nonchalance un volumineux codex à la main. La couverture, à ais de bois, était
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