La Marque du Temple
la main pour en mignonner le contour, en savourer la rondeur et en palper la texture.
Le geste aurait été déplacé, peu courtois et probablement fort mal accueilli : à la pensée de la gifle qu’elle avait tenté de m’assener, la joue m’en cuisait presque. Elle avait la main leste.
Je l’interrogeai sur les raisons de son émeuvement ; elle me répondit avec une pointe de dépris et d’arrogance dans la voix :
« Quand vous gagnerez enfin une partie au jeu d’échecs, vous pourrez me soumettre à la question, messire Brachet ! » Avant de roucouler par un mouvement de ses lèvres provocantes et d’une sensualité irrésistible :
« Car je m’ennuie, messire. On ne se bat bien que contre forte partie. Je m’ennuie terriblement et suis lasse de vous poser des questions que ma supériorité sur vous m’octroie en ce stupide jeu de la vérité ! »
Trop, c’en était trop. La fine garce prenait trop d’assurance. Cette fois, j’étais bien décidé à la dominer et à déployer mes talents de stratège, non pas pour lui clouer le bec, mais bien au contraire pour extirper toutes les réponses que j’attendais.
J’obtins une revanche. Je l’acculai à me proposer partie nulle. J’acceptai sans trop d’empressement en la priant de m’accorder belle partie. Si je la perdais, je promis que nous cesserions de jouer au jeu de la vérité et je ne l’importunerais plus. Si j’avais l’heur de remporter cette ultime partie, nous continuerions de jouer aux échecs jusqu’à ce que j’en décide autrement. Je lui laissai le choix.
Après un instant, elle accepta de mauvaise grâce, convaincue que cette partie serait la dernière et qu’elle mettrait fin aux tourments que j’avais prétendu lui infliger dans mon “orgueilleuse et juvénile naïveté.”
Elle en fut pour ses frais. Vers le milieu de la partie, elle déplaça son chevalier et se saisit d’un mien paonnet. J’avançai le roc de deux cases. Elle riposta en le prenant nonchalamment par un déplacement de son alphin sur la diagonale sombre.
Je vis fleurir sur ses lèvres un léger sourire. Elle était sûre de sa victoire : ma fierce était en grand danger. En deux coups, elle la bousculerait et me conduirait au mat, pensait-elle. J’observai ses mains. Celle qui déplaçait les pièces, sa dextre, était agitée d’un léger tremblement. Je pris l’un de mes chevaliers et lui fis sauter trois cases.
Elle ne vit pas venir le piège. Son alphin balaya ma fierce de la surface de l’eschaquier. Elle déclara que mon roy était en danger. Son sourire s’élargit aussitôt. Son visage se rembrunit au coup suivant. Il se ferma comme une huître lorsque je lui déclarai innocemment :
« Oh, gente Dame ! Je crains que votre roy ne soit rendu au mat ! » Elle examina consciencieusement la position des pièces avant d’accepter de se rendre à l’évidence. Elle se leva, saisit le pichet, s’en versa une bonne rasade dans son gobelet et l’avala d’une traite sans m’en proposer la moindre goutte.
Le Roy lion rampant,
Chevaliers naissants,
Alphins affrontés
Par Rocs couronnés.
Prise par Alphin,
Fierce saisit Roc,
Brides et chanfreins
Des Chevaliers d’oc
Sans voir Paonnet
Couché et morné,
Paissant et rampant,
Issant dragonné,
Essorant, courant,
Becqué et onglé,
Qui descend coupé
De sable, d’argent.
Pour sauver le Roy ;
Elle n’eut d’autre choix
Que pointer d’estoc
Et refuir le choc
En souvenance ,
Dans la souffrance,
D’un bel amour
Qui fleurit un jour
Sans jouir de l’espoir
De le revoir un soir.
Car, sur l’eschaquier
D’un amour sans fin ,
Par trop rehasté,
Gisait à la parfin,
Un blanc écuyer
Sur sable couché.
Lorsqu’elle porta la main sur le lobe de son oreille, je remarquai qu’il était relié à la peau du col. J’avais déjà observé cette curiosité chez le chevalier de Montfort. Et chez Arnaud de la Vigerie.
« À moi à présent de vous poser une question : lorsque je vous ai dis, tout à l’heure, que messire votre mari et le chevalier de Montfort voyaient la main des Juifs ou des Hachichiyyins dans l’assassinat de l’aumônier général de la Pignotte, vous avez ri. Y verriez-vous plutôt la main de la Providence ?
— Non point. Mais je crains que ces dramatiques événements ne soient le fait, ni des Juifs ni de quelque secte ismaélienne. J’y vois le souffle du Diable qui sévit dans l’esprit
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