La Marque du Temple
de l’épée ou précipité vivant sur des bûchers improvisés. Au nom de la foi en leur Église.
« Croyez-vous que le Dieu Bon ait pu leur inspirer l’extermination des vingt mil habitants de cette bonne ville de Béziers, d’expédier les rares rescapés, atrocement mutilés, par-devers la contrée pour y répandre la terreur ? Seul le Dieu Mauvais a pu leur inspirer pareil crime !
« Maintenant que l’hérésie a été extirpée du cœur des Fidèles, nos barons d’oc sont devenus gros, gras, bien portants et défaits à la moindre bataille que leur livrent les Anglais, tant ils sont repus de suffisance alors que notre peuple souffre famine et désolation. Quand les puissants font semblant de se battre entre eux, ce sont les petites gens qui en baillent les débours. Alors, autant les faire guerroyer en Terre sainte. »
— Un nouveau pèlerinage pour délivrer le Saint-Sépulcre ? À l’initiative de notre Saint-Père le pape Clément, sixième du nom ? questionnai-je ex abrupto.
— Peu avant son élection en l’an 1342, savez-vous qu’il avait déjà prêché une intervention militaire en terre d’Orient ? Sous prétexte de sauver les derniers chrétiens de l’île de Chypre et du pays d’Arménie, il voulait ranimer l’esprit des Grands Pèlerinages d’antan.
— Alors que les Godons avaient revendiqué la couronne de France et reprenaient les hostilités ? En se privant d’une participation militaire des croisés de nos deux pays, la France et l’Angleterre ? J’ignorais ce fait.
— En raison de ce fait, justement. La guerre de succession pour la couronne de France paraissait, aux yeux du pape Clément, bien futile et bien coûteuse en vies. Sans profit pour ses coffres. Car pour les vies, je ne suis point sûre qu’il y attache le moindre prix.
« Quoi qu’il en soit, il s’efforça d’y mettre fin en orientant les énergies vers des buts qu’il croyait plus nobles et moins fratricides. Il échoua. En désespoir de cause, il envoya une flotte placée sous l’autorité du patriarche de Jérusalem. Elle reprit la ville de Smyrne en l’an 1344. Certes, ce fut une belle victoire, mais elle resta sans lendemain.
« Pourquoi ne poursuivrait-il pas la même politique ce jour ? Par d’autres moyens ? Par tous les moyens ? Pour éloigner des rois et des seigneurs par trop turbulents qui menacent trop souvent et trop ouvertement son autorité, depuis l’empereur Frédéric, deuxième du nom, et feu le roi Philippe, dit le Bel, quatrième du nom ? Avant que les Turcs n’envahissent définitivement ce qui reste de chrétienté en terre d’Orient ?
— Votre proposition ne manque pas d’intérêt, aussi incroyable puisse-t-elle paraître de prime abord. Et vous ne manquez pas d’éloquence. Auriez-vous suivi l’enseignement de quelques lecteurs royaux en nos universités de Paris ou de Montpellier ?
— L’enseignement de maîtres ? Oui, mais point en ces universités, répondit-elle, soudain songeuse.
— Il y a des accents de vérité dans ce que vous dîtes là, dame Éléonore. Mais les combats que nous livrâmes en les faubourgs de nos villes de Bergerac et d’Auberoche furent chevaleresques et sanglants.
— Mais ils conduisirent les habitants de ces bonnes villes à demander merci aux Anglais ! Y voyez-vous belle et grande victoire, messire ? Le roi de France n’a-t-il pas essuyé, un an plus tard, l’un des plus épouvantables désastres de l’histoire du royaume depuis la défaite de Vercingétorix contre les légions romaines de Jules César, à Alésia ?
« Non, croyez-moi, le temps de chevalerie est mort. Il est mort depuis… depuis soixante-dix-sept ans. Vous courrez là petite chance à refuser de l’admettre et à sacrifier la vie de nos manants pour quelques arpents de terre. D’autant que les Anglais ont autant de raisons de prétendre à leur suzeraineté en ce duché d’Aquitaine, que le roi de France en son royaume. »
La belle dame de Guirande, passionnée, le feu aux joues, déclamait sans plus me regarder. Son regard portait au loin, entre terre et ciel, vers un monde inconnu et sacrilège.
Je me sentis fatigué et accablé par le poids de ces grandes questions. J’avais besoin de réfléchir et de méditer ce que je venais d’apprendre.
Elle m’avait ouvert les yeux sur une explication aussi nouvelle qu’incroyable, mais qu’elle avait étayée par de solides arguments : le Saint-Siège ou la Curie
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