La Marque du Temple
tortueux d’aucuns parmi les cardinaux, les évêques, les dominicains et autres prélats qui gravitent autour de l’apostole en Avignon.
— L’apostole ?
— Le Saint-Père, si vous préférez, déclara-t-elle à la manière d’un inquisiteur prêchant la guerre contre les hérétiques.
— Le Saint-Siège serait, selon vous, à l’origine de cette sinistre mise en scène ? Comment osez-vous porter de telles accusations ? répondis-je, consterné et outrecuidé, en me signant.
— Vous n’êtes point embéguiné, messire Bertrand. Les trente-six mils livres ou besants d’or, ou je ne sais, qui sont revenus à l’Aumônerie des pauvres selon votre récit, ne justifiaient pas un demi-siècle d’enquêtes dispendieuses.
— Vous rendez-vous compte de la monstruosité de vos paroles ? Quel intérêt le Saint-Siège aurait-il à tenter de s’approprier les fioles ?
— Ce ne sont pas mes propos qui sont monstrueux, c’est le calcul diabolique qui en fut à l’origine. La découverte du trésor de Montfort n’est qu’une piperie, un simple prétexte pour mettre la main sur le Graal, sur l’eau et le sang du Christ, la plus belle de toutes leurs reliques.
« Pensez au prestige qui en résulterait pour le Saint-Siège en terres d’Occident et d’Orient chrétien. Le Graal reviendrait au sein de la communauté de l’Église. Après plus de mil trois cents ans ! Pensez aux riches oboles que tous les béguins et les béguines, tous les crédules, ne manqueraient pas de bailler pour les toucher du doigt ou les contempler dans une châsse que j’imagine incrustée d’or et de diamants. Je suis convaincu que la châsse a déjà été fabriquée et scellée…
— Admettons. Mais de là à répandre la terrible epydemie et à décimer les plus fervents soutiens de l’Église ! La couleuvre est un peu grosse à avaler.
— Réfléchissez, messire Bertrand, réfléchissez et faites appel à ce sens politique qui vous fait apparemment défaut : l’usage qui fut fait de cette fiole mystérieusement disparue de la boîte à messages du légat pontifical, le père d’Aigrefeuille, a pu être malencontreusement détourné de celui que votre Sainte-Église entendait en faire. Peut-être n’était-elle pas destinée à répandre le Mal noir parmi les chrétiens, mais à empoisonner les puits des Sarrasins, des Turcs et autres peuples d’Incroyants.
— Empoisonner leurs puits ? m’étonnai-je.
— Pour ranimer l’esprit des pèlerinages de la Croix, bien timoré depuis la chute des forteresses templières, hospitalières et teutoniques en Terre sainte, depuis la chute de la ville de Saint-Jean-d’Acre, à la fin du siècle précédent.
— Une guerre des religions ? m’étonnai-je.
… En décimant les populations locales, en affaiblissant considérablement leur système de défense. En facilitant le débarquement de nouveaux croisés de la Foi. »
Elle ne répondait plus à mes questions. Éléonore de Guirande ne m’écoutait plus. Son esprit s’embrasait. Elle était devenue intarissable. Je me gardai de l’interrompre derechef :
« Un procédé comparable à celui qui a conduit à faire assassiner le cardinal Pierre de Castelnau, le légat pontifical, près le village de Saint-Gilles sur la rive dextre du Rhône, le surlendemain des ides de janvier, le 15 du mois, en l’an de disgrâce 1208.
— Mais le légat pontifical a été occis d’un coup de lance par un écuyer du comte de Toulouse, Raymond sixième du nom. L’un et l’autre avaient rallié la foi des hérétiques !
— Sornettes que tout cela ! Le Saint-Siège a voulu le faire croire. Le versatile comte de Toulouse avait abjuré sa foi. Ne voyez-vous pas que le meurtre de Pierre de Castelnau a immédiatement soulevé une immense réprobation parmi les ci-devant nobles chevaliers de langue d’oïl en quête de richesses, de titres et de terres faciles à conquérir au nom de la lutte contre ce qu’ils nommaient la vermine hérétique albigeoise ?
« Avant que l’apostole Innocent, troisième du nom, ne lance cette terrible phrase : « Allez, soldats du Christ ! Appliquez-vous à détruire l’hérésie par tous les moyens que Dieu vous inspirera ! »
« Moins d’un an plus tard, les hordes sauvages de Simon de Montfort ont déferlé sur le marquisat de Provence, puis sur tout le pays d’oc, se livrant au pillage, à la dévastation, au massacre de tout un peuple passé au fil
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