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La Marque du Temple

La Marque du Temple

Titel: La Marque du Temple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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incontinent. Car, s’il était bon et grand seigneur avec eux, tous redoutaient son châtiment s’ils n’obéissaient rapidement à ses ordres. Oubliant la chaleur accablante, ils s’exécutèrent.
    Arnaud de la Vigerie, mon compain d’armes, mon ami, deuxième écuyer du baron, s’élança vers les écuries. Il se prit les pieds dans ses poulaines, trébucha, perdit l’équilibre et s’étala de tout son long sur le sol de la basse-cour, le visage en plein sur un tas de crottin de cheval frais et encore fumant. Le bliaud de soie qu’il portait prit la couleur de la merdouille.
    Un sergent de garde, du nom de Sébastien dit Tordcol, saisit une hache d’armes et rompit deux cordes pour abaisser la herse de la porte de Boines. Dans sa précipitation et sous l’effort, les agrafes de ses chausses lâchèrent : il perdit ses braies. Personne ne s’esclaffa. La herse heurta le sol dans un bruit d’enfer. Les murs du châtelet en tremblèrent.
    Louis et Petit-Jean se précipitèrent sur le treuil du pont-levis. Aux deux tiers du mouvement, la goupille de sécurité du cliquet lâcha. Les poulies filèrent à toute vitesse à l’envers. Le tablier du pont risquait de se briser dans sa chute.
    Au risque d’y perdre la vie, Petit-Jean se jeta sur le treuil. Il y perdit aussitôt la main, mais tint bon. Louis était paralysé à la vue du sang qui giclait à flot du moignon de son compain. Petit-Jean, le souffle court, le supplia de bloquer la crémaillère. Il implora à l’aide.
    À dix coudées de là, Augustin le Gros, premier valet d’écurie, transportait une botte de foin. Il lâcha le tout et se précipita. Il saisit une énorme cheville trouvée à portée de main et l’enfila. Le bois craqua, mais il réussit à arrêter la mécanique. Deux valets d’armes tentèrent de rouiller le treuil, d’abord sans résultat, puis ils parvinrent à relever le pont à grand arroi de peines.
    Décidément, la barbacane portait malheur. Après Auguste Taillefer, le forgeron des Mirandes, proprement décapité trois ans plus tôt pour des raisons restées inexpliquées, Petit-Jean risquait sa vie. Si le malheur nous accablait encore, la porte de Boines aurait occis plus de nos gens que de Godons !
    Petit-Jean souffrait l’agonie. Marie et Jeanne, deux fortes femmes commises à la lingerie, le saisirent aux épaules et par les pieds, le portèrent dans les cuisines, puis l’étendirent sur la grande table en chêne massif.
     
    Du haut de la tour du Couvent qui avait été construite plusieurs années auparavant face au Présidial, entre la porte Veuve et la porte de Boines, le seigneur de Beynac assistait, non loin de moi, à la scène : il envoya un page prévenir notre barbier qui accourut longtemps après, la langue chargée, la démarche chancelante, les bras ballants, les yeux embués et la voix hésitante, mais toujours féru de latin et de décoctions :
    «  Félix qui puit rerum cognoscere causas  ! Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses.
    —  In vino veritas, sed in aqua sagitas. Le barbier est baveur quand il a trop bu, lui répondit le baron tout de gob.
    —  Ad augusta per angusta  ! On obtient parfois des choses grandioses par des voies étroites…
    — Imbécile, si je te fais quérir, ce n’est ni pour entendre ton latin de cuisine, ni pour respirer ton haleine fétide ! Sinon, tu risquerais bien de sentir l’ argumentum baculinum, l’argument du bâton, sur tes reins ! Où donc est ton bissac de chirurgien, turluoin paillard ? Petit-Jean perd tout son sang.
    « Saisis-toi de tes instruments, garrotte son bras, bande sa plaie et mets fin à ses souffrances. Tu répondras de lui sur ta vie ! Et inutile de pratiquer une saignée cette fois ! Il pisse le sang comme un cochon qu’on égorge ! Comme toi, demain, si ne fais !
    —  Magister dixit, les arguments du maître sont sans réplique », ne pût-il s’empêcher de répondre.
    Le barbier, promu chirurgien, fut dégrisé d’un coup et s’éclipsa beaucoup plus rapidement qu’il n’était venu. J’entendis ensuite le baron se parler à lui-même :
    « Si c’est chevauchée du roi Philippe, on ne craint rien. Si c’est feu dans les champs, ils savent le maîtriser. Si c’est Derby ou ses traîtres gascons, qu’ils aillent au diable ! Si c’est… Si c’est pire… Alors… que Dieu nous garde ! » Puis, de sa voix forte, au timbre grave, il m’interpella :
    « Bertrand,

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