La Marque du Temple
craignaient la contagion de quelque redoutable maladie.
D’aucuns, de plus en plus nombreux depuis quelques jours, déclaraient de fortes fièvres, puis des gonflements des ganglions, des troubles nerveux, comme s’ils étaient atteints d’épilence, un teint cireux, des troubles digestifs, des plaques noirâtres surgissant sur le corps, la mort des premiers malades, soit le jour même, soit dans les deux jours qui suivaient.
Dans la salle des Gardes, une grande agitation s’empara de tous. Les visages étaient tendus. Ils étaient plus blancs que des linceuls. Et pourtant quiquionques ne pouvaient encore imaginer que Gontran venait de décrire les sinthomes de la présence du Mal noir. Excepté quatre personnes : le baron de Beynac, le chevalier de Montfort, Arnaud et moi.
Nous avions rendu compte au baron de notre expédition, de sa réussite et aussi des grands malheurs que nous avions vécus à notre retour de l’île de Chypre. Il nous avait écoutés d’une oreille polie, tout en décomptant la part qui lui revenait du trésor des Montfort.
J’avais tenté en vain de chasser de mon esprit, d’occulter de ma mémoire les scènes épouvantables, insoutenables de tous ces corps morts ou encore moribonds que le mestre-capitaine avait fait jeter par-dessus bord.
En vérité, nous n’avions plus disposé de suffisamment de draps et de cordes pour leur donner une sépulture chrétienne. Plus de soixante matelots, mousses, mestres et tous les arbalétriers qui assuraient notre défense à bord des trois nefs nous avaient quitté après d’atroces souffrances.
Les mires qui résidaient en la cité papale d’Avignon nous avaient longuement interrogés sur les manifestations sinistres de cette terrible maladie qui avait emporté en quelques jours les marins, les mousses et le second mestre de la Santa Rosa. Leur diagnostic avait été clairement établi, les sinthomes ne soufflaient aucun doute : la pestilence, le Mal noir ! Ils nous avaient fait mettre aussitôt en quarantaine et ne nous avaient libérés que deux mois plus tard, lorsqu’ils avaient été convaincus que nous n’étions porteurs d’aucune maladie.
Le clabaudage s’étendait, plus haut, plus fort. Tous s’interrogeaient à présent sur la nature de la maladie dont Gontran venait de décrire les manifestations et ses conséquences mortelles.
Le baron leva la main : « Silence, messires, je vous prie ! »
Les murmures cessèrent aussitôt. On aurait entendu une mouche voler s’il n’y avait eu cette plainte lointaine des bourdons dont les marteaux sonnaient le glas. Encore et encore.
Il réfléchit quelques instants, fit quelques pas, le regard perdu au loin. Les semelles de ses bottes claquèrent sur le dallage. Comme autant de coups de fouet. Nous ne pipâmes mot. D’aucuns parmi nous étaient effondrés.
Le baron se ressaisit, prompt à prendre sa décision et à lancer ses ordres. Se tournant vers Georges Laguionie, le maître des engins et vers Étienne Desparssac, le maître des arbalétriers :
« Affalez les mangonneaux, ne raidissez pas les couillards. De simples archers postés suffiront. » Puis, à l’attention de Michel de Ferregaye, le capitaine d’armes et de Gontran Bouyssou, le chef du guet :
« Doublez la garde, ne laissez entrer ni sortir personne. Ni manant, ni tâcheron, ni artisan, ni marchand. Ni mendiant, colporteur, batelier ou gabarrier. Ni homme, femme, enfant ou vieillard. Aucun gens d’armes, qu’il soit chevalier ou baron. Pas même messire Roger Bernard s’il se présentait aux portes du château ! » Louis, mon voisin, se tourna vers moi et s’enquit :
« Qui est-ce ? Je lui soufflai à l’oreille :
— Le comte de Pierregord, crétin ! »
Pendant ce temps, le baron achevait de donner ses consignes, d’une voix tranchante :
« Aucune personne ne doit franchir la première enceinte et ce, sous aucun prétexte, sans mon ordre ! »
Arnaud de la Vigerie lança à tu-tête :
« Et les troubadours, messire ? » faisant très maladroitement allusion au goût que portait le baron de Beynac pour les chansons de geste. Il aurait mieux fait de s’accoiser. Mais il résistait rarement à la tentation d’une farcerie.
Le baron le foudroya du regard. Arnaud était d’esprit facétieux. Il comprit toutefois un peu trop tard la stupidité et l’incongruité de sa question, en ces circonstances. Pris sans vert, le baron de Beynac toussit et rugit tel un
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