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La Marquis de Loc-Ronan

La Marquis de Loc-Ronan

Titel: La Marquis de Loc-Ronan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ernest Capendu
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moment lucide provoqué par la force de la scène terrible à laquelle elle venait d’assister. Puis ses regards se détachèrent de Keinec et parcoururent la chambre. Alors un étonnement profond se peignit sur sa physionomie expressive ; on eût dit qu’elle voyait pour la première fois le lieu dans lequel elle se trouvait ; enfin ses yeux revinrent de nouveau s’arrêter sur le hardi Breton.
    En ce moment Keinec s’agenouillait. Yvonne se pencha vers lui comme attirée par un fluide magnétique, et elle écouta attentivement l’action de grâces que prononçait son sauveur.
    Alors son front s’éclaira subitement ; elle parut en proie à un trouble extrême, mais ce moment fut rapide : le calme se fit, et s’agenouillant pieusement près de son sauveur, elle murmura en pleurant une fervente prière. Mais cette fois la prière ne fut pas interrompue par des phrases sans suite ; cette fois la pensée présida à l’action, et les pleurs qui inondèrent son visage ne s’échappèrent plus en sanglots convulsifs. C’étaient de douces larmes, des larmes de joie et de bonheur que versait la pauvre enfant, tandis que l’une de ses mains, cherchant celles de Keinec, les saisit et les pressa avec reconnaissance.
    – Oui, dit la jeune fille en levant vers le ciel son œil limpide, dans lequel brillait la flamme divine de l’intelligence, oui, Keinec, remercions Dieu ensemble, car, dans sa miséricorde, il a permis non seulement que tu sois venu à temps pour me sauver, mais encore que je puisse, moi, t’exprimer ma gratitude. J’étais folle tout à l’heure, maintenant j’ai toute ma raison.
    Yvonne disait vrai. Par un phénomène physiologique assez commun dans certains cas d’aliénation mentale, les secousses successives que venait de subir l’esprit de la Bretonne avaient fait tomber le voile qui le couvrait. Yvonne avait recouvré la raison.

XXVIII – LES TROIS SANS-CULOTTES
    Deux heures environ après la scène qui venait d’avoir lieu dans le logis du lieutenant de la compagnie Marat, et au moment où la nuit close s’étendait sur le bassin de la Basse-Loire, trois hommes, ou pour mieux dire trois sans-culottes aux allures avinées, débraillées et chancelantes, suivaient, bras dessus bras dessous, les rives de l’Erdre, se dirigeant vers la tour Gillet, près de laquelle s’ouvrait la porte de la ville par où étaient entrés, la veille au soir, Boishardy, Marcof et Keinec. Deux des trois sans-culottes, dont l’un portait des épaulettes d’officier attachées sur les épaules de sa carmagnole, hurlaient à tue-tête un refrain patriotique ; seul, celui qui se trouvait placé entre eux deux, ne chantait pas. Arrivés en face de la tour, les chanteurs, sans discontinuer leur symphonie, examinèrent chacun, d’un œil étrangement intelligent pour celui d’un ivrogne, les abords de la vieille forteresse.
    – Rien ! dit l’un d’eux.
    – Alors, l’entrée est libre ! répondit l’autre.
    Ces paroles brèves s’échangèrent entre deux rimes, et les trois promeneurs s’avancèrent plus chancelants que jamais vers la porte devant laquelle veillait un soldat. Celui-ci présenta les armes à l’officier, se fit montrer les cartes de civisme épuré des deux autres citoyens, et les laissa continuer tranquillement leur route. Tous trois reprirent leur marche et leur chant suspendus. Seulement, celui qui se trouvait placé au milieu et qui gardait le silence, lança un regard du côté du corps de garde, tandis que l’un de ses compagnons portait négligemment la main à la crosse d’un pistolet qui sortait à moitié de la poche de sa carmagnole.
    – Pas d’imprudence si tu tiens à la vie ! murmura-t-il à l’oreille de l’homme dont il serrait fortement le bras sous le sien.
    La porte franchie, les nouveaux arrivés s’engagèrent dans l’intérieur de la ville ; mais plus ils avançaient et moins bruyant devenait leur chant, moins avinée paraissait leur démarche ; enfin les jambes s’affermirent, les bustes se redressèrent et les bouches se turent complètement. Ils venaient d’atteindre l’extrémité de la place du Département, pavée plus encore peut-être que la veille de cadavres ensanglantés.
    – Halte ! dit brusquement l’un de ceux qui soutenaient le troisième sans-culotte. C’est ici que Keinec nous a donné rendez-vous, n’est-ce pas, Marcof ?
    – Sans doute, Boishardy, répondit le marin, sans doute, et le gars ne va pas tarder

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