La Marquis de Loc-Ronan
ennemi.
– Une corde ! une corde ! dit l’inconnu en s’adressant à Yvonne et en lançant autour de lui un regard rapide et investigateur.
Mais la jeune fille, immobile et pour ainsi dire fascinée par le spectacle qu’elle avait sous les yeux, était incapable de comprendre et d’agir. Alors l’homme qui était venu si miraculeusement au secours d’Yvonne étreignit Diégo d’une seule main, en contenant tous ses mouvements, et de l’autre il arracha un poignard placé à sa ceinture, puis, se penchant sur le misérable, il lui saisit le bras droit, le contraignit à l’étendre, lui ouvrit violemment la main, l’appuya sur le parquet, et levant la lame tranchante et acérée, il la laissa retomber en traversant cette main, qu’il cloua littéralement sur le plancher. Diégo poussa un cri aigu de douleur, auquel répondit un cri de joie échappé des lèvres d’Yvonne.
– Keinec ! s’écria la jeune fille en se précipitant dans les bras de son sauveur.
Keinec, car c’était lui, contempla quelques instants en silence la jolie Bretonne. Le pauvre gars revoyait enfin cette Yvonne qu’il adorait, qu’il cherchait depuis deux ans avec un courage que rien ne pouvait abattre, qu’il croyait perdue à jamais, et que le hasard venait de lui faire retrouver. Keinec ignorait la présence à Nantes de la pauvre fille du vieux pêcheur dont il avait récemment vengé la mort.
Keinec n’avait pas assisté à l’interrogatoire que Marcof s’était préparé à faire subir à Pinard dans le cellier de la petite ferme de Saint-Étienne.
Boishardy avait fait observer qu’il fallait que l’un d’eux retournât sur-le-champ à Nantes, afin de se tenir au courant des nouvelles, de se mettre à même de connaître l’émotion que provoquerait la connaissance du combat qui avait eu lieu dans le cabaret du quai de la Loire, et de voir ce qui résulterait de la disparition du lieutenant de la compagnie Marat.
Ayant l’intention de rentrer en ville le lendemain, il était urgent de ne pas tomber dans un piège et de pouvoir être prévenus en cas de besoin. En conséquence, Keinec était remonté à cheval sur l’heure, et tandis que se préparait le supplice de Carfor, il avait repris la route qu’il venait de parcourir.
Marcof, lors de ses précédents séjours à Nantes, s’était mis en rapport avec la marchande à la toilette, dont, en sa qualité de chef royaliste, il connaissait les secrètes fonctions. Ce fut à elle qu’il adressa le chouan en lui recommandant de redoubler de vigilance et en lui ordonnant de veiller à la sûreté du jeune homme. S’il y avait danger à pénétrer dans la ville, la jolie marchande devait en prévenir Keinec, lequel aurait placé à la porte de l’Erdre, près la tour Gillet, un signal convenu.
Keinec, en entendant le titre que s’était donné l’acheteur qui venait de quitter le magasin de Rosine, Keinec avait pensé judicieusement que la capture d’un tel personnage pouvait devenir de la plus puissante utilité, et il avait résolu, puisque l’occasion s’en présentait, de s’en emparer coûte que coûte. La femme qui avait accompagné l’envoyé du Comité de Salut public avait, en rentrant dans le magasin, donné au jeune homme l’adresse de la maison à la porte de laquelle elle avait laissé le citoyen Fougueray, et Keinec s’était élancé sur la piste.
La vue d’une femme violentée par celui qu’il venait chercher avait tout d’abord excité sa colère ; mais en reconnaissant Yvonne dans cette femme qui implorait secours d’une voix défaillante, cette colère avait atteint le paroxysme de son exaltation. Maintenant qu’il se trouvait en face de la jeune fille, maintenant qu’elle n’avait plus rien à craindre et que lui n’avait plus à frapper, Keinec sentait une émotion profonde succéder à la rage, et des larmes abondantes jaillissaient de ses yeux et roulaient sur ses joues bronzées. Enfin, terrassée par la joie, cette nature de fer ne put dominer le trouble qui s’était emparé d’elle, et, se laissant tomber à deux genoux, le jeune homme murmura à voix basse :
– Merci, Seigneur, mon Dieu ! merci, ma bonne sainte Anne d’Auray ! maintenant je puis mourir, Yvonne est sauvée !
Quant à Yvonne, toujours immobile et pour ainsi dire paralysée par le travail mystérieux qui s’opérait dans son cerveau, elle ne quittait pas du regard le jeune homme qu’elle avait tout d’abord reconnu dans le
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