La Marquis de Loc-Ronan
à venir, si toutefois Carfor ne nous a pas trompés.
– Et comment vous aurais-je trompés ? répondit le troisième interlocuteur, qui n’était autre que le lieutenant de Carrier. N’ai-je pas fait ce que vous avez voulu ?
– C’est justice à te rendre, et tu n’y as même pas mis trop de mauvaise volonté.
– Alors tu tiendras ta parole, Marcof ?
– Est-ce que j’ai jamais failli à un serment ?
– Non !
– Eh bien, alors ?
– Je ne doute pas ! mais dis-le-moi encore ; tu ne me tueras pas ?
– Tu auras la vie sauve, mais tu sais à quelles conditions ?
– Oui, faire retrouver Yvonne et vous aider à délivrer le marquis et Jocelyn.
– C’est cela même.
– Eh bien ! Yvonne est chez moi, je te l’ai dit et je le répète. Veux-tu que je t’y conduise ?
– Non, répondit Marcof ; attendons Keinec, dès qu’il sera venu, je l’enverrai délivrer la jeune fille, tandis que nous irons tous trois à la prison.
– Keinec tarde bien ! dit Boishardy en regardant autour de lui avec impatience.
– Il va venir, fit Marcof.
– Oui ! si le pauvre gars n’a pas été reconnu et arrêté, fit observer Boishardy.
– Je lui avais donné le mot de passe hier, vous le savez, dit Carfor, comme c’est moi qui vous ai appris que les officiers entraient et sortaient librement, et qu’il fallait que l’un de vous en prît le costume.
– Cela est vrai ; mais ces épaulettes me pèsent, fit le chef royaliste en arrachant les insignes du grade qu’il avait pris.
– Qu’as-tu donc ? demanda brusquement Marcof en soutenant Carfor qui chancelait.
– Ma blessure me fait horriblement souffrir !
– Pourquoi nous as-tu contraints à te martyriser, puisque tu devais finir par parler ?
Carfor poussa un soupir et chancela de nouveau en baissant la tête.
– Hum ! fit Boishardy d’un air mécontent, je n’aime pas ces demi-pâmoisons et ces accès de douleur. Le tigre fait patte de velours.
– Oui ! mais il est entre les griffes du lion ! répondit Marcof.
– Tonnerre ! Keinec ne vient pas ! reprit le chef royaliste après un silence.
– Je l’avais envoyé chez Rosine, et s’il lui était arrivé malheur, elle aurait trouvé moyen de nous prévenir. La tour Gillet ne portait aucun signal, donc tout doit bien aller.
Marcof s’arrêta en fixant son œil d’aigle sur un point noir qui apparaissait dans les ténèbres.
– Ah ! fit-il, voici quelqu’un ! Ce doit être Keinec ! Voyez donc, Boishardy.
Boishardy s’avança avec précaution et se trouva bientôt en face d’un nouveau personnage ; celui-ci, qui arrivait au pas de course, s’arrêta brusquement à deux pas du chef royaliste : c’était effectivement le jeune Breton. Tous deux revinrent vers Carfor et Marcof.
– Eh bien ? demanda le marin.
– Sauvée ! répondit Keinec avec un élan joyeux impossible à exprimer.
– Qui cela ? s’écrièrent en même temps Boishardy et Marcof.
– Yvonne ! Yvonne est sauvée !
– Tu l’as retrouvée ?
– Oui.
– Où cela ?
– Chez Carfor, et je suis arrivé à temps.
– Comment ? Explique-toi ?
Keinec raconta rapidement la scène qui avait eu lieu entre lui et Diégo. Seulement, le jeune chouan ne connaissait pas le misérable Italien ; il ne l’avait aperçu qu’une fois jadis, lorsque celui-ci fuyait des souterrains de l’abbaye en emportant Yvonne, mais l’éloignement avait empêché Keinec de distinguer ses traits. Tout ce qu’il put dire fut donc qu’il avait solidement garrotté l’envoyé du Comité de salut public avec lequel il avait lutté, et qu’il l’avait laissé sous la garde d’Yvonne.
– Nous verrons cela plus tard, répondit Marcof. Maintenant, ne perdons pas un instant et allons aux prisons. Yvonne est sauvée ! songeons à Philippe et à Jocelyn !
Puis, se retournant vers Carfor, il ajouta :
– Tu avais dit vrai en ce qui concernait Yvonne. Songe à ce qui te reste à faire. Voici le moment décisif arrivé. Tu vas payer de ta personne. Rappelle-toi qu’à la moindre hésitation tu es mort !
Carfor ne répondit pas. Marcof lui prit le bras et tous quatre se dirigèrent vers le Bouffay. Arrivés au poste de garde, Pinard demanda le chef et se fit reconnaître. Quelques sans-culottes étaient là ; ils poussèrent des hurlements de joie en revoyant le lieutenant de la compagnie Marat. Carfor, toujours enlacé à Marcof, les remercia de leurs
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