La Marquis de Loc-Ronan
démonstrations d’amitié et voulut passer outre, mais l’officier de garde l’arrêta.
– On n’entre pas ! dit-il.
– Comment, on n’entre pas ? répondit Pinard avec étonnement.
– Non.
– Pourquoi ?
– C’est la consigne.
– Est-ce que tu ne me reconnais pas ?
– Si fait.
– Tu sais que je suis l’ami de Carrier ?
– Sans doute.
– Eh bien ?
– Il y a ordre du citoyen représentant de ne laisser pénétrer qui que ce soit dans les prisons avant onze heures du soir, et il en est sept à peine.
Cet ordre, on se le rappelle, avait été donné le matin par Carrier à l’instigation du citoyen Fougueray. Carfor regarda Marcof avec inquiétude. Le marin comprit qu’il ne pouvait forcer l’entrée de la prison.
– Nous reviendrons à onze heures, dit-il en entraînant Carfor.
Tous quatre retournèrent sur leurs pas.
– Allons sur les quais, dit Boishardy, nous serons plus libres et nous ne rencontrerons personne.
Ils traversèrent la place et gagnèrent les rives de la Loire. Après avoir jeté un regard investigateur autour de lui et s’être assuré de la solitude complète de l’endroit où il se trouvait, Marcof s’arrêta et ses compagnons l’imitèrent.
– Fâcheux contre-temps ! dit Boishardy.
Marcof frappa du pied avec impatience. Tout à coup il saisit la main de Carfor et s’écria brusquement :
– Si tu nous avais trompés !
– Grâce ! fit le sans-culotte d’une voix déchirante ; j’ai dit la vérité, je ne vous trompe pas.
Marcof haussa les épaules.
– Es-tu sûr que Carrier ait ajouté foi à ta lettre ? demanda Boishardy en s’adressant à Pinard.
– Je le crois.
– Cet ordre en serait-il la conséquence ?
– Je l’ignore.
– Pourquoi aussi avoir fait écrire cette lettre ! s’écria le marin.
– Pourquoi ! répliqua le chef royaliste.
– Oui.
– Pour mieux réussir.
– Je ne vous comprends pas.
– Écoutez-moi alors, Marcof, et vous allez comprendre. J’avais pensé, et cela était indubitable, que Pinard serait reconnu à son entrée dans la ville. Or, Pinard reconnu, il devait d’abord voir Carrier, et, au besoin, ses amis l’y auraient conduit de force. Qu’eussions-nous pu faire, alors ? Nous battre ? Aurions-nous pu pour cela sauver Philippe ? Non, n’est-ce pas ?
– Cela est vrai ! répondit Marcof.
– Tandis qu’en adressant à Carrier la lettre dont vous parlez, poursuivit M. de Boishardy, en le prévenant de l’arrivée de Pinard et surtout, en lui indiquant une heure que nous devions devancer, notre tranquillité provisoire était assurée, et de notre tranquillité présente dépend la réussite de nos projets. Enfin, mon cher, nos affaires de la nuit dernière m’ont mis en goût de bataille. J’ai pensé que nous pourrions tirer parti de la recommandation faite au représentant d’envoyer un détachement de sans-culottes à la porte de l’Erdre.
– Je comprends ! s’écria Marcof ; l’ordre que vous avez donné ce matin à Kérouac est une conséquence de tout ceci.
– Sans doute.
– Il est allé au placis ?
– Oui. Ce soir, à onze heures, Fleur-de-Chêne et une partie de nos gars seront embusqués sur la route de Saint-Nazaire.
– De sorte qu’à un moment donné, nous exterminerons les sans-culottes, qui croient marcher à une victoire facile.
– C’est cela.
– Mais Philippe ?
– Il faut qu’il soit libre avant, et qu’il sorte sous la conduite de l’un de nous. Il s’échappera plus facilement pendant que nous ferraillerons.
– Admirable !
– Oui, tout irait bien si nous pouvions pénétrer dans la prison avant onze heures.
– Nous y pénétrerons !
– Comment cela ?
– J’ai mon plan.
– Dites ! fit vivement le chef royaliste.
Marcof réfléchit quelques instants, puis s’adressant à Carfor :
– Tu as entendu nos projets ; tu sais ce qu’il nous faut ; parle.
– Carrier peut seul faire ouvrir les prisons, répondit Pinard.
– Alors tu vas lui en demander l’ordre.
– Quand cela ?
– Tout de suite.
– Mais il faut que j’aille à Richebourg pour voir Carrier et obtenir cet ordre que tu exiges.
– Tu vas y aller !
Carfor ne put maîtriser un violent geste de joie, et son œil fauve lança un éclair sinistre.
– Comment, s’écria Boishardy, vous allez vous fier à cet homme ?
– Allons donc ! répondit le marin, je ne le quitte pas, et je
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