La Marquis de Loc-Ronan
pour que tu te donnes cette peine. Cordieu ! maîtresse de Carrier, c’est une belle fin, et j’ai dans l’idée que ce sera là ton dernier amour.
– Comme ce souper sera ton dernier repas.
– Je ne crois pas.
– Moi, je l’espère ; tu vois que je suis franche.
– À merveille ; seulement, n’oublie pas que si je tombe, tu tomberas avant moi ! Cependant, il te reste un moyen de t’échapper de mes mains.
– Lequel ?
– Celui de continuer à être franche.
– À quel propos ?
– À propos des questions que je vais t’adresser.
– Des questions, à moi ?
– Sans doute.
– Je ne comprends pas.
– Tu vas comprendre. Oh ! ne t’alarme pas. Personne ne nous entend, et au milieu de ce bruit épouvantable nous pouvons causer ensemble ; seulement, ne t’étonne pas de ce que je me tiens à demi penché vers ce cher Pinard ; c’est un ami que j’aime tant, que je veux toujours avoir un œil sur lui ; et puis, quand il entendrait notre conversation, il n’en abusera pas, je m’en porte garant. Dis-moi, ma belle, lorsqu’il y a un peu plus de deux années tu tombas entre mes mains, tu te rappelles, sans doute ?
– Oui. Après ?
– Un peu de patience. Cette même nuit, je trouvai dans l’abbaye de Plogastel un homme mourant. Cet homme se nommait le chevalier de Tessy, et passait pour ton frère…
– C’était mon frère, interrompit Hermosa.
– Vraiment ?
– Certes !
– Eh bien ! cela est fâcheux pour la famille, car j’ai reconnu dans celui qui se donnait ce titre un ancien bandit que j’avais vu dans les Calabres.
– Impossible !
– Bah ! Il l’a avoué lui-même.
– Tu mens ! dit Hermosa avec rage, car elle crut que le marin était plus instruit encore qu’il ne le paraissait. Tu mens ! Aussi bien, dis ce que tu voudras, je ne répondrai plus.
– Tu ne répondras plus ?
Hermosa garda le silence.
– Allons, continua Marcof, il faut que je te raconte une petite histoire. Tu vois ce digne Pinard qui est là, assis près de moi. Cette nuit, nous étions ensemble à quelques lieues de Nantes. J’avais à lui parler d’affaires, et j’étais venu le chercher hier. Eh bien ! lui aussi ne voulait pas parler. Sais-tu ce que j’ai fait ? Le moyen est des plus simples, mais il est infaillible. J’ai fait chauffer à blanc une petite plaque de tôle et je l’ai appliquée sur l’épaule droite du citoyen. La chair a crié, la plaque s’est enfoncée, et lorsque je l’ai enlevée, elle emportait avec elle la peau et laissait l’épaule à vif. Alors j’ai fait scier une étrille d’écurie et j’en ai appliqué un morceau du côté des piquants, bien entendu, sur la brûlure. Puis, j’ai fait attacher solidement l’étrille sur la plaie. En posant seulement le doigt dessus, je fais de Pinard tout ce que je veux ; en ce moment, je n’ai qu’un geste à accomplir pour le voir tomber à genoux et demander grâce !
– Que m’importe ! dit Hermosa ; me crois-tu en ton pouvoir ?
– Je ne dis pas cela précisément ; mais ce qui est incontestable, c’est que je puis te brûler la cervelle avec ce pistolet.
– Tu ne le ferais pas !
– Pourquoi donc ?
– Parce que ce serait assurer ta mort.
– On ne tue pas Marcof comme cela. J’ai encore un poignard et un autre pistolet ; c’est plus qu’il n’en faut pour profiter de la surprise que causera ta mort.
– Mais que me veux-tu donc ? dit la courtisane dominée complètement par son interlocuteur dont elle connaissait l’audace à toute épreuve.
– Je veux que tu répondes à mes questions.
– Encore ?
– Toujours ! Regarde ! le canon de cette arme est à deux pouces de ta poitrine ; personne ne peut te sauver. Veux-tu répondre ?
– Mais…
– Veux-tu répondre, oui ou non ?
– Eh bien !… oui !
– Franchement ?
– Franchement.
– Ce Raphaël était-il ton frère ?
– Non !
– Avait-il donc volé le titre qu’il portait ?
– Oui !
– Tout à l’heure, Carrier t’a appelée Hermosa. Est-ce ton nom ?
– Oui.
– Tu ne te nommes donc plus Marie-Augustine ?
– Non !
– Mais qui es-tu ?
– Qui je suis ?
– Oui.
– La marquise de Loc-Ronan !
– Mensonge !
– Tu sais bien que je ne mens pas !
– Je veux connaître le mystère qui t’environne, s’écria Marcof avec violence. Je le veux ! Parle !… parle ! ou tu es morte !
– Qui donc va
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