La Marquis de Loc-Ronan
mourir ? répondit Carrier qui depuis un moment prêtait une attention singulière à ce qui se passait en face de lui et remarquait enfin la contenance d’Hermosa.
Marcof, entraîné par la violence de son caractère, avait abandonné toute prudence.
Il n’était plus temps de reculer. Il se leva brusquement, et appuyant le canon de son pistolet sur le front de la courtisane :
– Réponds ! s’écria-t-il.
Hermosa poussa un cri d’horreur. Carrier, épouvanté, se leva avec précipitation. Tous les convives, surpris, hésitèrent un moment ; mais ce moment eut à peine la durée d’un éclair.
Pinard venait de profiter de la faute commise par son voisin ; saisissant l’instant où Marcof se levait, il avait arraché le second pistolet qui pendait à la ceinture du marin.
– C’est toi qui vas mourir ! hurla-t-il d’une voix triomphante.
Marcof fit un bond en arrière au moment où Carfor pressait la détente, et la balle, dirigée par la main de Dieu, effleura la poitrine du marin et brisa le crâne de la courtisane. Le corps inanimé d’Hermosa s’affaissa sur la table qu’il inonda de sang. Un cri d’épouvante répondit à la détonation. Marcof comprit qu’il était perdu.
Rassemblant toutes ses forces, il saisit le bord de la table, roidit ses nerfs d’acier et renversa le meuble sur les convives qui lui faisaient face. Les flambeaux glissèrent, les bougies s’éteignirent et l’obscurité remplaça subitement l’éclat des lumières. Alors le marin, son poignard à la main, s’élança, abattant et renversant tout ce qui lui faisait obstacle.
Il gagna rapidement la porte au milieu des cris et du pêle-mêle. Dans l’escalier il rencontra quelques sans-culottes qui accouraient. Une fenêtre s’ouvrait en face de lui ; Marcof n’hésita pas un moment, il la franchit et sauta en dehors. Il était tombé devant le poste même de la compagnie Marat. La sentinelle croisa la baïonnette sur lui. Le marin se releva vivement et prit la fuite. Une balle siffla à ses oreilles et hâta encore sa course.
Par bonheur, Marcof avait pris la direction du Bouffay. Arrivé sur la place, il se précipita vers l’échafaud. Boishardy et Keinec l’y attendaient.
– Perdu ! s’écria Marcof avec désespoir ; tout est perdu par ma faute !
– Non ! répondit Boishardy, tout est sauvé ; nous pouvons pénétrer dans la prison !
– Comment cela ? Il est neuf heures à peine.
– J’ai un blanc-seing de Carrier !
– Un blanc-seing de Carrier ?
– Le voici ; je l’ai rempli. Venez ! je vous expliquerai tout plus tard. J’ai trouvé ce papier dans la poche du prisonnier fait tantôt par Keinec ; venez, hâtons-nous !
La prison était voisine ; les trois hommes y furent en quelques secondes. Boishardy s’avança le premier.
– Ordre de Carrier ! dit-il en présentant la feuille tout ouverte à l’officier de service. Celui-ci la prit, puis la mettant dans le tiroir de la petite table devant laquelle il était assis :
– Passez, citoyens, dit-il.
– Tu vois ce qu’il nous faut ? répondit Boishardy.
– Oui ; mais ce n’est pas mon affaire. Entrez et adressez-vous aux geôliers.
Boishardy, Marcof et Keinec pénétrèrent dans la prison. Marcof laissait agir son ami. Celui-ci alla droit au bureau du directeur de l’entrepôt, comme disaient les sans-culottes. L’officier les avait fait accompagner par un grenadier chargé d’appuyer leur demande. Il avait gardé par devers lui l’ordre en blanc rempli par Boishardy, selon l’usage, afin de mettre sa responsabilité à couvert.
Boishardy formula le but de sa mission. Il venait chercher, au nom du citoyen représentant, deux prisonniers : le ci-devant marquis de Loc-Ronan et le citoyen Jocelyn, ci-devant valet de chambre. Le grenadier appuya la demande, comme il en avait l’ordre de son chef.
– Jocelyn… et Loc-Ronan… répéta l’inspecteur ; mais ils sont exécutés depuis longtemps.
– Impossible, répondit Marcof ; Pinard m’a affirmé le contraire.
– Quand cela ?
– Aujourd’hui même.
– Peut-être a-t-il raison… En tous cas, ils ont été incarcérés dans la salle numéro 7 ; s’ils vivent, ils y sont encore.
– Et où est cette salle ?
– Au fond de la deuxième cour, escalier H, troisième étage ; voici l’ordre pour le geôlier de service… Veux-tu que je te fasse accompagner ?
– Inutile, répondit Boishardy, nous trouverons
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